Avant de revoir L'Homme qui tua Liberty Valance, j'avais peu de souvenirs du film, si ce n'est deux ou trois scènes clés. Je l'avais vu une première fois beaucoup trop jeune, pour l'apprécier à sa juste valeur. J'ai quand même le souvenir d'avoir pensé que c’était un très bon western. Le film est bien plus qu’un simple triangle amoureux (avec deux bons gars qui s'affrontent pour conquérir le cœur de la belle) et le meurtre d’un tireur hors-la-loi. En réalité, le film raconte surtout le passage d'une ère à une autre, avec beaucoup de non-dits. L'Amérique des balles est sur le point d’être remplacée par l'Amérique des manigances plus subtiles, mais tout aussi mortelles, de la machine politique.
L'Homme qui tua Liberty Valance commence avec le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) et sa femme Hallie (Vera Miles), qui reviennent à Shinbone pour les funérailles du célèbre cowboy Tom Doniphon (John Wayne). "Où sont ses bottes ?" demande Ransom Stoddard en voyant le corps de Tom Doniphon étendu dans son cercueil, "Mettez ses bottes" ordonna-t-il alors. Les rues de Shinbone sont vides et le ciel est d’un gris déprimant. Tous les habitants de cette petite ville sont maintenant devenus vieux. Ransom Stoddard réconforte l’ancien camarade de Tom Doniphon, Pompey (Woody Strode) et lui donne une poignée de billets.
A bien des égards, L'Homme qui tua Liberty Valance est un film d'une profonde tristesse. John Ford film les derniers jours du western américain, une Amérique des cowboy qui est littéralement à bout de souffle. Il oppose L’Amérique révolue fondée sur la survie, incarnée par John Wayne, avec une Amérique naissante fondée sur le respect de la loi et sur l'égalité des droits, incarnée par James Stewart. C'est la fin du grand mythe de l’Ouest américain et le passage à l'Amérique des progrès. La photographie en noir et blanc est elle-même assez déprimante. La plupart des scènes, y compris les plus importantes, semblent toutes se dérouler de nuit ou dans l’obscurité.
Et que nous dit John Ford avec ce film ? C'est le journaliste Peabody (Edmond O'Brien) qui l'exprime le mieux. L’Amérique a commencé avec les Indiens, les buffles et la seule loi c'était la survie. Puis les grands éleveurs de bétail sont arrivés, ont confisqué la terre et la seule loi c'était l’arme à feu. Maintenant, c'est l'Amérique des agriculteurs qui travaillent dur. Les cactus fleuris ont disparu et ont été remplacés par des navets. Les grands héros et les grands méchants du passé, ont été remplacés par des politiciens prétentieux comme Ransom Stoddard. L'Homme qui tua Liberty Valance c’est surtout une vision nostalgique de l'Amérique des cowboys et une vision de l'Amérique un peu "passéiste" de John Ford.
Pour son dernier film avec John Wayne, John Ford semble opter pour une direction d'acteur plus théâtrale qu'à son accoutumé. La plupart des acteurs (à la seule exception de Vera Miles) sont en permanence à l'extrême limite du surjeu, y compris les deux têtes d'affiche James Stewart et John Wayne. Mais celui qui est le plus en roue libre de tous, c'est bien Lee Marvin qui incarne Liberty Valance. C'est le méchant de l'histoire, mais alors il est vraiment très méchant. A chacune de ses apparitions à l'écran, c'est un véritable spectacle et il éclipse tout le reste du casting. Il a à peu près tous les droits dans cette petite ville de Shinbone. Il se balade librement, tue qui il veut et se comporte comme un fou furieux. Personne, si ce n'est John Wayne, n'ose s'opposer à lui. Ses deux hommes de main sont également deux véritables caricatures. Strother Martin en fait des tonnes à pleurnicher tout le temps, au point où ça en devient même irritant. Quant à Lee Van Cleef, il a malheureusement trop peu de temps de présence à l’écran pour réellement briller, mais rien que sa légendaire "sale gueule" suffit à marquer les esprits. La performance la plus théâtrale est peut-être celle livrée par Edmond O'Brien, avec son alcoolisme et ses envolées lyriques.
L'Homme qui tua Liberty Valance se démarque de beaucoup d'autres grands westerns, pour deux bonnes raisons. Premièrement, il met en vedette James Stewart et John Wayne dans les deux rôles principaux. C’est beaucoup de "star power" à l'écran, avec deux des plus grands acteurs de cette époque. Tous les deux sont des habitués des grands rôles avec des grands réalisateurs et tous les deux ont fait pas mal de westerns (surtout John Wayne). Deuxièmement, l’histoire est assez inhabituelle. L’idée qu'un tyran "terrorise" tous les habitants d'une petite ville n’est pas très originale, mais la façon dont elle a été racontée (avec les flashbacks) et le final multiplie les rebondissements (avec un twist final assez inattendu).
L'Homme qui tua Liberty Valance est un film très dense. Il se passe beaucoup de choses, avec beaucoup de non-dits dans toute cette histoire et plusieurs visionnages sont recommandés pour en découvrir toutes les subtilités. C’est un western qui ne correspond pas vraiment au moule du western à la John Ford. Toutes les idées préconçues sur le grand western américain sont balayées d’un revers de la main. C’est un regard sur la conquête de l'Ouest américain qui se termine, avec un mélange de nostalgie, de romance et de bravoure, qui offre un aperçu efficace de la légende, avant de succomber aux faits ... "When the legend becomes fact, print the legend"