Bien souvent, le justicier est représenté en homme viril tirant plus vite que son ombre ou ayant l’incroyable capacité à multiplier les pains. Le justicier est en effet le messie attendu par la population. Celui qui les débarrassera du mal, qui prend souvent au Western l’apparence d’un bandit sans scrupules, dévalisant à tout va et n’hésitant pas à se débarrasser de tout ceux qui se dressent contre lui. Dans L'Homme qui tua Liberty Valance, cette iconographie du méchant est conservée. Celle du justicier est, par contre, très différente. Il prend ici l’apparence d’un jeune avocat issu de la bourgeoisie, idéaliste pétri de bonnes intentions et dont le colt est remplacé par le code pénal qu’il brandit tel un prêcheur.


Au début du XXe siècle, le sénateur Stoddard et sa femme Hallie sont à l’enterrement d’une vieille connaissance, Tom Doniphon. Intrigué par cette présence inattendue, un journaliste vient voir Stoddard qui finit par lui expliquer sa relation avec le défunt. Bien des années auparavant, Stoddard, son diplôme d’avocat en poche, décide de partir dans l’Ouest. Peu avant la petite ville de Shinbone, sa diligence est attaquée par des bandits. Le jeune homme se rebiffe et termine tabassé et laissé pour mort. Trouvé inanimé par Doniphon, ce dernier va le ramener à Shinbone et lui apprend que le chef des bandits se prénomme Liberty Valance. Stoddard n’aura ensuite de cesse de le faire arrêter. Malheureusement, la justice de l’Ouest se rend à coups de revolver et Stoddard devra s’y plier.


John Ford est au Western ce que Miyazaki est à l’animation. Maître incontesté du genre, Ford est une figure de proue de la période classique d’Hollywood. Il réalisa plus de 140 films (dont une cinquantaine reste à ce jour introuvable) entre les années 20 et 60 pour le compte des majors. Il détient également le record du nombre d’Oscars du meilleur réalisateur avec 4 statuettes gagnées. L'Homme qui tua Liberty Valance fut l’un de ses derniers films.


Le casting a quelque chose d’exceptionnel avec deux grandes figures du cinéma, John Wayne et James Stewart. Les deux quinquagénaires charismatiques tournent pour la première fois ensemble. Wayne interprète Doniphon, un rôle taillé sur mesure, celui de la figure classique du justicier de l’Ouest qui n’hésite pas à faire parler la poudre. Stewart joue à la perfection Stoddard, ce jeune avocat téméraire, dont l’inexpérience et la fragilité sont contrebalancées par le courage et une détermination sans failles. Des traits de caractère que l’on retrouvait dans un film d’un tout autre registre, Mr. Smith au Sénat de Frank Capra. L’acteur Lee Marvin n’est pas en reste dans son rôle de Liberty Valance, l’archétype du méchant impulsif, violent, adepte de la loi du plus fort et toujours flanqué de ses deux acolytes (dont l’un est joué par Lee Van Cleef tout de même). Comme souvent avec Ford les seconds rôles, en particulier Edmond O'Brien en journaliste courageux et Andy Devine en shérif fin connaisseur du "sauve-qui-peut", se distinguent également.


Ford, ce monstre sacré du cinéma, réalise ici un film sur les légendes et mythe de l’Ouest lorsque les états, tel le Colorado, ne faisaient pas encore partie de l’Union. Avec ses dizaines de Western, Ford endosse une stature de chroniqueur d’une époque qu’il n’a pourtant pas connue.


L’Homme qui tua Liberty Valance est un chef d’œuvre du classicisme empreint d’une douce nostalgie d’une époque historique où l’Amérique était encore en pleine construction.

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le 15 juin 2017

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Vincent-Ruozzi

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