"On imprime la légende..."
(Je spoil un peu, mais pas plus que le titre du film)
Le sénateur Ransom Stoddard arrive à la gare de Shinbone des années après l’avoir quitté, accompagné de sa femme Hallie. Il est approché et interrogé par deux journalistes qui veulent en savoir plus sur sa venue dans l’Ouest, qui en soit, est quelque chose d’exceptionnel. Stoddard leur explique donc qu’il est ici pour assister aux funérailles d’un vieil ami, Tom Doniphon. Son récit prend alors forme à l’écran.
Alors en route vers l’Ouest avec « une valise pleine de bouquins, la montre de son père et 14 dollars en poche », le jeune Ransom Stoddard y part chercher « la célébrité, la fortune et l’aventure ». C’est sur son chemin que sa diligence se fait attaquer par le bandit tristement célèbre : Liberty Valance (magnifiquement interprété par Lee Marvin), qui laisse le jeune avocat dans un piteux état. Sauvé par Tom Doniphon, Stoddard décide alors de faire payer Valance en le traînant devant la justice.
Doniphon plus habitué à ce genre d’homme et de conflit sait que le jeune juriste a beaucoup à apprendre sur les lois qui régissent le Far West et ses mœurs, et essaye de lui faire comprendre que la justice n’est pas la même ici-bas, que la loi ne représente pour eux qu’une pile de bouquins et qu’il doit régler ses problèmes par lui-même. Stoddard reconnaît alors que le revolver est un argument pertinent dans la logique de la loi de l’Ouest et la loi du plus fort, mais refuse de se détourner de la voie légale.
On assiste alors à la fois à l’opposition et à la complémentarité de deux justiciers, l’un incarne la force tranquille taciturne de l’Ouest, et l’autre la balance de la justice fébrile et impuissante, mais non moins déterminée.
Le sénateur Ransom Stoddard finit alors par avouer aux journalistes que l’homme qui tua Liberty Valance est en fait Tom Doniphon, ce héros anonyme et discret qui, amoureux d’Hallie refusa de laisser mourir le jeune avocat et causer la tristesse de cette dernière.
Le journaliste conclu alors l’entretien par cette phrase : «quand la légende devient des faits, on imprime la légende.»
L’homme qui tua Liberty Valance est pour moi (et pour beaucoup de monde sans doute), l’aboutissement de tout ce qu’a entreprit John Ford, ou plus précisément un « concentré » de tous les éléments qui composent ses films. Ce film est empreint d’une indescriptible nostalgie, d’abord parce qu’il s’agit d’un des derniers films de John Ford, mais surtout parce qu’il peint ici la fin de ce monde dans lequel il s’est plu à raconter tant d’histoires.
L’Amérique évolue, et John Ford fait partir cette évolution de la mort très symbolique de Liberty Valance, dont le nom en dit long. De plus pour ce passage à une époque plus moderne, Ford décide de tourner son long-métrage entièrement en noir et blanc et en studio.
En effet, l’heure est à la modernisation de l’Ouest, à l’industrialisation et à la politique. Des écoles, des commerces ont ouvert dans la petite ville de Shinbone qui est désormais reliée par les chemins de fer.
Ici pas de happy end, pas de gagnants. On a même l’impression que tout le monde a à y perdre. En témoigne la scène finale dans laquelle on voit le couple Ransom/Hallie qui peut sembler froid et distant, leur histoire et légende étant basées sur un mensonge. En serait-il ainsi si justement les faits avaient-été imprimé et non la légende ?
Bien sûr on peut également parler de Liberty Valance, bandit de grand chemin et hors-la-loi fervent défenseur du chacun-pour-soi et Tom Doniphon, homme de principes et cow-boy justicier qui sont tous deux les figures les plus emblématiques du Far West. Et leur mort est la représentation, bien que très explicite, la plus lourde de sens de cette œuvre crépusculaire.
John Ford livre ici le plus bel hommage qu’on puisse faire à ce genre qu’il affectionne tant et sur lequel il règne presque (Leone) sans partage. Je ne saurai que vivement vous conseiller ce chef-d’œuvre noir et sublime.