Et voici ma 150è critique. Mine de rien ça commence à en faire une petite tripotée ! Depuis ma 50è et de façon tout à fait arbitraire, j'ai décidé de marquer le coup toutes les 50è critiques. Après Ran, la 50è, un film qui m'a longtemps suivit avant qu'il ne me rattrape enfin, ce fut le tour d'Excalibur, pour la 100è. Ces films m'ont en quelque sorte changé.
Vient donc le temps de ce sommet de ma mythologie interne, de mon Hybris, de ma Katharsis, l'un des premiers films que j'ai placé dans mon top 10. Un rapide coup d'œil sur ce dernier et vous me direz qu'il n'est que 7è, et qu'il n'a même pas un beau 10. Je vous répondrai que savoir que la dernière image du film m'arrache à chaque fois une larme me suffit.
J'ai découvert ce film lorsque j'avais 15 ans. Je m'en souviens très bien ; une fois mes larmes séchées alors que le générique se déroulait, oubliant mes boutons magnifiques, je savais que je ne serai plus vraiment le même ; oui, à 15 ans tout est possible, comme, par exemple, conquérir le monde, se tailler un royaume là-bas, loin, par-delà les montagnes immortelles et enneigées du Kâfiristân.
Assurément je suis un romantique et, sans doute aussi, un anachronisme. C'est pour ça que j'adore ce film. Et je l'aime tellement que j'accepte ses défauts, telles ces ellipses un peu aisées ou sa musique bien terne quand on songe à celle d'un Lawrence d'Arabie. C'est pour ça que je ne puis lui mettre 10, pas plus qu' au Conan de Milius, d'ailleurs. Mais, par tous les dieux, par la sainte culotte de dieu, que ce film est magnifique.
Cette fin de XIXè siècle a quelque chose d'envoûtant ; tout semblait possible et c'est ce que narrait admirablement Jules Verne. La nouvelle de Kipling, découverte à la fac, est nettement moins bonne que le film et que les écrits de Verne. Peut-être mon avis eût été différent si je l'avais découvert le texte en premier mais toujours est-il que cette nouvelle semble bien fade au regard de ce que Huston en a fait. Ainsi, au crépuscule de ce XIXè siècle, l'Europe était sûre de sa force. Français, Belges, Allemands et surtout Anglais s'en allaient parcourir le monde, découvrir les sources du Nil, civiliser ces peuples bigarrés, mâter ces Zoulous infatigables guerriers. Pourtant, derrière ces certitudes, l'Occidental basculait bien souvent dans l'irrationnel. Ces terres orientales, inconnues, portaient en elle un charme implacable. Nul besoin de résister, de toute façon c'était impossible car l'Occidental est bien plus faible que tous ces peuples qu'il se plait à qualifier de Barbares.
Cette atmosphère, Huston l'a parfaitement rendue dès les premières minutes du film. Se déploie cette Inde fantasmée, ces marchés, ces charmeurs de serpents, ces épices qui nous enivrent, ces femmes qui, d'un regard, vous terrassent. Emportés par ces senteurs et ses saveurs, nous découvrons les trois protagonistes de notre aventure ; Christopher Plummer, en Kipling, sobre et très juste. Au-delà, bien loin, dans un monde onirique, surviennent les deux héros principaux. Deux anciens soldats d'artillerie, deux Anglais, magnifiques, pathétiques, désireux de tenter l'aventure. Car, tout est là. Daniel Dravot et Peachy Carnehan sont deux âmes perdues au sein d'un Empire riche et vaste, certain de sa supériorité. Deux hommes que personne ne regarde. Alors que disent-ils ? Merde. Et remerde. Le monde est à nous. Partons pour l'aventure, taillons-nous un royaume, devenons riches comme Crésus, emmerdons la Couronne en un mot, vivons. C'est tellement fou que ce doit être possible. Et si nous échouons ? Foutre, au moins aurons-nous quelque chose à raconter à la foule innombrable des morts que nous rejoindrons !
L'Homme qui Voulut Être Roi est plus qu'une fable, il est la vie. Il est fantasme. Drôles, épiques, tragiques, Sean Connery et Michael Caine sont totalement, définitivement, fascinants. Emportés par cette aventure hors du commun, hors du temps, ils ont la délicatesse de nous emmener avec eux sur les sentiers oubliés des contreforts de l'Afghanistan. Ils voulaient être roi ? Ils vont devenir des dieux. Conquérants, juges, prêtres, pilleurs, amoureux, cette histoire fraternelle est intemporelle. Le film n'a pris aucune ride. L'écriture, à force de jeux ironiques du destin est limpide et enivrante. Les images, superbes, nous emportent. On a froid, on a chaud, on souffre, on rit. Huston livre une copie merveilleusement décalée et authentique. Un instant de vie.
Le sublime vient lorsque l'on découvre, petit à petit, que jadis, un autre homme dévoré par l'Hybris, la passion déraisonnée, est passé par ici. Le Kâfiristân s'efface pour redevenir ce qu'il fut ; la Sogdiane. Ces Anglais deviennent les fils spirituels du Grec. Roxane se fait à nouveau lumineuse et la plus belle des femmes. Le Mortel redevient immortel, le temps de quelques mois. Finalement, ce film est sans aucun doute le meilleur jamais fait sur Alexandre le Grand et son Mythe ; et je me dis que Stone a touché du doigt une partie de cette mythologie dans son Alexandre, même s'il n'a pas réussi à aller au bout de son rêve.
Tout s'emballe car, depuis longtemps nous savons l'inéluctable. La tragédie est en place et viendra l'acte final, nécessairement terrible. Huston l'aborde avec autant d'ivresse que de génie. Alors nous battons la mesure avec Sean Connery et Michael Caine, les dents se serrent pour le dernier adieu et, finalement, les yeux s'humidifient pour la dernière image. Que c'était beau. Merci d'avoir sauvé mon âme.
Quelque part, tout reste possible. Oui, ce film imparfait est merveilleux car profondément humain.