"Ceci est ma terre et mon pays. Vous ne l'aurez jamais. Vous n'êtes pas les bienvenus"

Daniel ( Sean Connery) et Peachy (Michael Caine) sont deux anciens soldats, débauchés et indisciplinés de l'armée coloniale britannique, aimant à se rappeler les anecdotes de leur histoire militaire tout en moquant l'autorité de l'armée..., ils sont aussi avides d'aventures, et vivent de menus larcins, de contrebandes et d'escroqueries, se plaignent que les "bureaucrates" (toutes sortent d'administrations ayant pour but de modérer leurs ardeurs) les empêchent de faire n'importe quoi, n'importe comment, comme bon leur semble (même si l'autorité de ces même "bureaucrates" semble plus qu'inefficace et complaisante à leur égard...), ils sont Franc-Maçons et ils n'hésitent pas un instant à user de leur appartenance pour abuser de l'hospitalité de leur frère de Franc-Maçonnerie, Kipling (Christopher Plummer), qui semble lui même très amusé par ce duo comique interprété avec brio.


Aventuriers mais aussi arrivistes et racistes, ou profondément méprisants pour les autochtones, les folles ambitions de Daniel et Peachy semblent de poursuivre jusqu'à la fin de leurs jours leurs vies de jouisseurs oisifs (parasitant autant l'empire colonial que les peuples colonisés), et pour cela ils se lanceront dans l'entreprise rocambolesque de piller, au sens "propre", le patrimoine ancestral d'un pays entier, un ancien royaume gréco-bactrien...


On l'aura compris, ici, le but est de présenter le colon sous un jour peu flatteur malgré le vernis d'humour britannique et la bonhommie du duo..., duo qui partage, malgré tous ses vices, une formidable histoire d'amitié et d'honneur, car oui, même s'ils ne sont pas des héros vertueux, très loin de là, ils ne sont pas non plus des monstres, ils sont juste humains, comme vous et moi... immoraux mais humains.


Les "kafiristanais" du film sont aussi un peuple étrange et primitif, un peuple digne des Mille et Une Nuits ou encore du Livre des Merveilles de Macro Polo (et très probablement pas vraiment inspiré des actuels afghans). Vivant à la frontière de la barbarie, leurs mœurs sont si dures qu'elles arrivent à choquer plusieurs fois nos anti-héros (qui sont quand même des vieux soudards qui ont bien baroudé à travers le monde), nos anti-heros qui ne manquent pas de faire preuve en retour d'humour, de dérision et de flegme britannique pour masquer leur gène évidente.


Cependant, même si les "nouristanais" sont un peuple primitif, "sauvage", ils ne sont pas non plus dénué de bon sens, car même si les prêtres prennent très au sérieux le rôle quasi-divin qu'ils attribuent à Daniel, même si les potentats locaux sont de minables maquereaux, veules, lâches et stupides, et même si j'aurais aimé voire plus souvent les "autochtones" du "Kafiristans" sous un jour plus banal, voire leur vie quotidienne et leur société d'avantage développée dans le film; les populations conquises savent où réside leur intérêt immédiat en se joignant d'elles mêmes aux troupes de Daniel et Peachy, rendues invulnérable par la force des fusils et de la discipline militaire britannique (dissolue, mais toujours plus efficace que le désordre permanent des guerres tribales) des deux camarades et l'aura charismatique, emprunte de sacré de Daniel.


Les prêtres, plus rusés, plus septiques, et détenteurs indéniables d'un certain savoir, faisant preuve d'un certain raffinement, quant à eux, ne sont pas des imbéciles dogmatiques mais vont chercher à éprouver la nature pseudo-divine de Daniel et seul un deus ex des plus invraisemblable le sauvera in extrémis d'un cruel châtiment.


Car oui, si les colons sont des parasites opportunistes, dont j'ai déjà dressé le tableau, les peuples colonisés sont à la frontière entre la civilisation et la sauvagerie, en état de guerre de tous contre tous, alors que ce sont aussi des gens comme vous et moi, avec une culture et des traditions, une dignité, une histoire, et qui se soucient d'eux même et de leurs proches, de leurs amis et de leur pays.


Et pour le caporal Majendra, alias Billy Fish, joué par Saeed Jaffrey, (un autre personnage important de l'histoire), c'est un Ghurka, c'est à dire un soldat autochtone de l'empire colonial anglais, réputé pour sa bravoure au combat et sa fidélité à ses maîtres, comme le fut nos Zouaves, nos propres troupes coloniales, et il est sûrement un des personnages avec le plus de potentiel, car il se trouve toujours à la frontière entre le colon et le colonisé, entre le fort et l'humilié, et pourtant il est le personnage le moins bien exploité de tous... dommage.


Clairement, la volonté de Huston et de Kipling n'est pas de nous narrer une fable moralisatrice, franc-maçonne (en tout cas, j'ai l'impression que la franc maçonnerie du film n'est qu'un prétexte, mais je n'en sais rien), avec de tels personnages et un tel univers, une vision réaliste et si pessimiste d'une humanité généralement criminelle et déchue, aussi violente que cruelle, mais aussi capable d'être meilleur que ça.


Et c'est cette attitude que j'apprécie ici, ce n'est pas un Indiana Jones, ou équivalent, avec un gentil sauveur occidental (néanmoins pilleur de trésors), avec une bonne grosse morale bien américaine, d'une bande de bons sauvages, des griffes d'un méchant maléfique, nazi, communiste, ou gourou d'une secte cruelle et millénaire ! Ici les frontières entre le bien et le mal sont floues et absolument pas définitives, et l'actualité, ou l'histoire, nous rappellent trop souvent que c'est une vision de l'Homme qui est peut être désespérante mais que c'est aussi la seule à laquelle nous pouvons nous raccrocher sans subir de cruelles désillusions.


Car si l'on peut voire Daniel comme un tyran corrompu par le pouvoir et le prestige de son statut, confirmé dans son délire de puissance par sa fausse parenté avec Alexandre le Grand, il rend la justice "mieux que Salomon", apporte une structure à une société tribale gangrenée par les conflits et les coutumes vengeresses de vandettas cruelles, lance des "grands travaux", se prête volontiers au jeu des autochtones devenus ses sujets plutôt que d'imposer ses mœurs britanniques à un pays conquis et humilié, et compte bien rendre permanent son pouvoir unificateur, pacificateur et justicier en engendrant une dynastie. Adoucir les mœurs, créer la confiance entre les tribus rivales, apporter la prospérité.


Car ce qui a manqué à ce peuple ce n'est que des rois capables de fédérer les clans. Daniel n'est donc pas un Roi Ubu, il n'est pas fou, il considère avec respect sa dignité usurpée de souverain et les responsabilités qui incombe naturellement à cette fonction "tombée du ciel" ... Et si l'on peu voire Peachy comme la voix de la raison aux premiers abords, c'est qu'en réalité, même s'il est bien plus raisonnable que Daniel par certains aspects, il n'a pas non plus perdu de vue son but initial, cynique, qui est toujours de piller le trésor ancestral d'un peuple entier pour le dilapider dans une vie de débauche en Angleterre... Peachy ne se fait donc pas la voix de la raison mais celui de la cupidité.


Si l'on peut voir les "nouristanais" comme des sauvages, barbares, arriérés, tribaux, et xénophobes, (ce qui est le cas), ce sont aussi de pauvres gens qui n'aspirent qu'à vivre dans la société et le pays de leurs ancêtres sans subir la colonisation brutale et rapace des anglais mais tout en bénéficiant de la présence d'un vrai (faux) roi (le "descendant" d'Alexandre) capable de les rassembler et de les conduire, eux et leurs descendants, vers un destin plus enviable que le joug des potentats, chefs de clans, seigneurs de la guerre.


Si l'on peut voire Billy Fish - le caporal Majendra, comme un vulgaire traître aux peuples colonisés de l'Inde, son dévouement et sa loyauté sans failles à ses maîtres anglais l'honore et le rachète.


Enfin, si l'on peut estimer que les prêtres sont jaloux de leur pouvoir, ils ne sont pas les imbéciles dogmatiques que l'on pourrait s'imaginer, ils perpétuent aussi le souvenir d'un passé plus glorieux et l'espoir du retour d'Alexandre.


Quant aux femmes, eh bien, c'est vrai qu'elles ne sont traitées que comme une espèce de marchandise dans ce film, en même temps ce n'est malheureusement pas si étonnant que cela, rappelons que les chefs tribaux agissent comme de vulgaires maquereaux, dans une société qui n'est certainement pas très propice à un traitement plus digne des femmes, et que les deux camarades anglais sont de vieux soudards, avec des idées certainement déjà considérées comme assez misogynes en leur temps, même si, néanmoins, ils ont juré de ne toucher à aucune femme, et à aucun alcool, avant d'avoir réussi à piller le trésor des nouristanais, ce qui fait qu'il n'abuseront pas de leur position malgré les offres des chefs tribaux.


Bref, à celles et ceux qui sont rebutés par un film dont le synopsis peut sembler complaisant à l'égard d'une certaine idéologie colonialiste de triste mémoire, je les invite à regarder ce film à nouveau sans les préjugés véhiculés par l'industrie du spectacle et des réseaux sociaux de ces dernières années, car il n'en est rien. Malgré le ton léger de comédie noire, les exploits guerriers et les tribulations rocambolesques propres aux films d'aventures, ce film véhicule une histoire sordide, et pitoyable, violente mais aussi emprunte de mélancolie, c'est celle de la nature humaine.

AXEL-F
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le 12 avr. 2021

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Axel

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