L'Homme qui voulut être roi confirme un ressenti jusque-là resté assez vague dans l'exploration de la filmographie de l'acteur-boxeur-réalisateur-dialoguiste américain : c'est dans le récit d'aventures, avec tout ce qu'il peut comporter comme enseignements et comme pirouettes scénaristiques consacrant des rebondissements hauts en couleur, que John Huston excelle vraiment. Que ce soit dans l'écrin du western, avec les mirages dorés dans lesquels se sont perdus les chercheurs d'or trente ans plus tôt dans Le Trésor de la Sierra Madre, ou comme ici dans celui du conte aux confins du Moyen-Orient, où des sujets de la couronne britannique se perdront dans les reflets tout aussi dorés de mirages divins, la vanité de l'homme constitue un matériau de base, le fondement incandescent d'un récit passionnant.
John Huston manie les antagonismes avec une dextérité vraiment remarquable : la trajectoire des deux larrons, Daniel Dravot et de Peachy Carnehan, partis de l'Inde coloniale en direction du Kafiristan (une province au Nord-Est de l'Afghanistan aujourd'hui baptisée Nouristan) à la fin du 19ème siècle, illustre magnifiquement cela dans leur recherche éperdue de fortune et de gloire. Ce cheminement géographique et mental brille par sa simplicité sans être dépourvu d'ambigüité, il revêt l'apparence du conte moral sans pour autant s'enfoncer dans le systématisme ou le didactisme obtus, et il investit autant le registre de la comédie pure que celui de la tragédie profonde.
On peut reconnaître d'emblée le rôle prépondérant de Sean Connery et Michael Caine dans la réussite du film, dans leurs habits de sergents de l'armée coloniale britannique, tant ils parviennent à incarner tour à tour la folie douce, l'inconscience tranquille, la bonhommie conciliante, la domination arrogante ou l'orgueil paternaliste. Leurs "God's holy trousers!" répétés sont forcément inoubliables. On passe d'un sentiment à l'autre entre deux batailles, on passe du rire franc quand Connery reçoit une flèche en plein torse et en ressort indemne, arrêtée par sa bandoulière, au rire un peu plus gêné quand il commence à profiter largement de cet événement pour se faire sacrer roi, dieu Sikander et descendant direct d'Alexandre le Grand. On passe de la clémence amusée, tandis qu'il s'imagine Salomon des temps modernes en répandant des jugements d'une apparente justesse à sa cour, au doute plus grave lorsque le pouvoir grignote progressivement les dernières parcelles de lucidité.
Cette dynamique des émotions confère à L'Homme qui voulut être roi toute sa force et entérine sa pluridisciplinarité, entre odyssée grandiose et récit d'aventures sombres, entre épopée mélancolique et tragi-comédie. Le dérisoire côtoie le démentiel dans cette fresque dépeignant leurs songes impérialistes. Un tissu d'illusions qui les conduira à leur perte, bercés par leur croyance en une supériorité morale et leur soif de conquête. Une vanité et une affliction magnifiques jusqu'à l'extrémité de leur existence, avec ces derniers moments où le temps semble s'arrêter sur un pont suspendu, point d'orgue de l'aveuglement et du vacillement enchantés.
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