On aimerait que L'humanité soit une oeuvre programmatique, c'est-à-dire, pourquoi pas, un hymne grandiose et bouffi d'espoir au genre humain - une attente qui en plus d'être excessivement naïve serait complètement cruche. Mais si Dumont semble insister sur la graphie minuscule de son titre, il me paraît impossible d'occulter la force proprement épique du film. L'épopée c'est un grand sentiment collectif chanté au travers des aventures souvent extraordinaires d'un héros seul. C'est exactement cette même sensation bouleversante que l'on peut avoir à l'écoute des opéras de Puccini par exemple, quand la ligne mélodique du soliste est doublée à l'unisson par les cordes de l'orchestre, et qu'elle devient un prisme magnifiquement amplificateur d'une solitude toute humaine.
Dumont localise donc précisément son action dans une petite ville du nord de la France. On suit la très lente et difficile investigation d'un petit lieutenant de police après le viol et le meurtre d'une fillette, ses petites sorties avec son petit groupe d'amis, dont sa petite voisine qu'il aime, bref, sa petite vie, toute étourdie par l'horreur absolue du crime pour lequel il enquête. Le drame se concentre sur des singularités, et c'est bien parce qu'ils sont esseulés, au moins par la caméra, que ces petits personnages portent en eux la puissance tragique de toute vie humaine.
Dumont fait du lieutenant de Winter le descendant d'un grand peintre de la région, et lorsque le personnage prête une des œuvres de son grand-père pour une exposition organisée par le palais des beaux-arts de Lille, on a l'occasion de voir quelques autres tableaux. Des portraits de solitudes, tous biens centrés, et rappelant les cadres qu'utilise Dumont : presque toujours, l'humain tout au milieu. Souvent, les personnages du film sont en train de regarder, en direction d'un ailleurs qui dépasse le cadre. Ils cherchent l'invisible. Voilà ce qu'a de programmatique le titre. L'enquête de De Winter est d'avantage une quête, celle d'indices d'humanités, et reprend donc en variation les célèbres mots de Diogène de Sinope, lancés en plein jour sa lanterne à la main : "je cherche un homme".
Ce n'est pas l'extraordinaire qui fait la force ou la dimension épique du film, mais l'extrême ordinaire, toutes les couleurs de la plus profonde quotidienneté. Acteurs non-professionnels - mais géniaux, et parfaitement singuliers -, personnages communs, situations courantes, paysages banals... Et tout ça est rendu si sensiblement, et si simplement ! La grisaille de la ville, la platitude des champs et la nature "normale" sont toutes transcendées par une caméra qui semble filmer la vraie couleur des choses. Et l'incursion très rare d'événements extraordinaires est rendue vraisemblable, sensible et d'autant plus bouleversante qu'elle naît au milieu du réel.
Un film puissamment vrai et puissamment beau.