Je vois La Vie de Jésus après les quelques autres films de Dumont qui lui ont succédé, et j'ai forcément moins de chose à dire, ou plutôt, je vais me répéter. Une fois encore, le projet du réalisateur me semble tenir en une assertion esthétique : le vrai est l'égal du beau. Et à nouveau, le film, et toute l'expérience sensible qu'il représente, en est une parfaite démonstration.
J'y vois cependant, dans ce premier film, quelques différences notables de mise en scène. Dumont et sa caméra y explorent bien plus le mouvement et même la vitesse (sans exclure l'habituel tempo lent) que dans les films qui suivront, qui leur préfèrent une plus radicale fixité. La Vie de Jésus, dans ce manque de radicalité, dans ce style qui tâtonne encore un peu - marques, peut-être, d'un jeune réalisateur se satisfaisant plus vite de tel mouvement ou tel cadre - paraît plus informe, ou protéiforme, et agit donc avec moins de retentissement. Je pense que ces remarques sont toutes bien conditionnées par mon irrespect de la chronologie, et il est vrai qu'après L'humanité - qui en deuxième film se pose déjà comme sommet de radicalité et de maîtrise -, il faut supporter la comparaison...!
Si dans L'humanité le "héros" était un empathique absolu et lumineusement bon, ici on se tape tout le contraire : un petit con et sa bande de copains, des oisifs, racistes, et franchement salauds sur les bords. Mais si bien filmés, on aime à les voir, ces attendrissants salopards. Eux aussi ont leurs peines, comme le deuil douloureux du frère d'un des garçons mort du sida ; leurs amours, leur petite vie. Et comme Emmanuel Schotté, David Douche, qui incarne le Freddy autour duquel tout semble ici tourner, a des yeux invraisemblables. Ce Freddy lui n'est pas humain mais profondément animal, primitif : tout n'est que besoins primaires, prédation, balades avec le groupe d'amis. Il vit en dehors de toute considération morale, et lorsqu'il lui arrive de faire le pire, à deux reprises, il lui est impossible de se soumettre raisonnablement à une quelconque forme d'autorité ou de punition. Il s'échappe d'une cage à laquelle il ne comprend rien, et se réfugie à sa place, la seule qu'il admette vraiment : au milieu des herbes.