L'Île aux chiens
7.7
L'Île aux chiens

Long-métrage d'animation de Wes Anderson (2018)

Un film qui a... du chien (oui ma blague est nulle et facile, je sais) !

4 ans après avoir fait les traits de l’Est Européen pendant l’entre-deux guerre avec l’exquis et succulent The Grand Budapest Hotel teinté de sous-texte historique noir finement placé dans le contexte fictif du film, Wes Anderson marque son retour à l’animation en stop-motion avec ce qui pourrait constituer un tournant important dans sa filmographie et sa carrière dans sa façon d’aborder ses thématiques et de mettre sa patte artistique au service de ses réalisations.


Jusqu’à présent, pour ceux qui sont familier avec son cinéma, on connait Wes Anderson pour ses comédies à l’atmosphère pas mal détaché de la réalité via l’attitude anormalement calme de ses personnages mais avec une technique à la mise en scène aussi symétrique qu’elle dégage une élégance et souvent beaucoup d’idée d’humour très bien pensés et prenante (tout le contraire d’un effroyable immondice comme Pierre Lapin sorti au début de ce mois qui n’a ni cervelle ni conscience). Et si on retrouve beaucoup de ces éléments dans L’île aux chiens, le ton comme son fond y sont nettement plus assombri et même plus pessimiste.


Le ton est donné dés le prologue


avec la guerre entre canins et le clan Kobayashi


ainsi que l’introduction du maire et de la grippe canine qui ronge les chiens de la métropole de Megasaki. Wes Anderson joue la carte de la dénonciation en choisissant de donner le nom du cinéaste Misaki Kobayashi à la figure antagoniste du film, connu pour sa dénonciation de la société japonaise à travers ses films. Mais aussi en s’inspirant nettement d’un autre film japonais se déroulant dans une décharge avec Dodes’Kaden d’Akira Kurosawa dans la construction de la plastique de l’île poubelle ou la race canine est mise en quarantaine.


D’ailleurs il est intéressant de noter quel jeux de couleur applique le cinéaste avec la construction de l’île poubelle et la mégalopole de Megasaki et ses maisons d’intérieurs afin de développer son atmosphère si à part. De l’un on est dans une sorte de trip rétro majoritairement gris, noir et marron au milieu des gravats, rats et plaies sur la peau de ces chiens condamné par une société japonaise victime de la manipulation politique de son maire. De l’autre, une métropole avec des couleurs plus appuyées et contrastant avec l’ambiance maussade et désespéré de l’île poubelle.


Ce changement d’atmosphère raisonne aussi avec celle d’Alexandre Desplats dans la musique via la présence de tambours traditionnelle japonais sans faire l'impasse sur la touche d’excentricité musicale habituelle et le poids des enjeux qui, pour le coup, sont nombreux et représenté par bon nombre d’acteurs au sein de cette vision dystopique du Japon.


Allant de l’isolement d’une espèce animale dans un pur dépotoir ainsi que sa maltraitance et son remplacement par la robotisation de la société, ou naquissent aussi bien les enjeux et manipulation politiques et rumeurs infondées qui finissent contredite que la pression déloyale sur la concurrence et la voix à l’opposée des idées du parti de Kobayashi (celle des militant pro-chiens ou du parti scientifique) ou l’homme est désigné comme principale facteur de la disparition animale et de l’enfermement sociétale dans des idées préconçues. La voix du salut ne passant que par les yeux de deux humains, Atari encore attaché envers son chien Spots (avec qui on assiste aux principaux moments d’humanité et de complicité entre l’homme et le chien via son attachement envers Spots puis Chief), et Tracy la militante pro-chien à la coupe afro improbable.


A ce titre, la phrase du chien étant le meilleur ami de l’homme et le choix de cet animal pour servir le propos du film apparaît comme évidente. Au-delà du comportement anormalement paisible et calme des personnages (ingrédient de tout film de Wes Anderson et du ton délicieusement absurde), difficile de ne pas ressentir un attachement envers eux. Le groupe du Chief ainsi que le reste des déportés canins inspirent facilement la sympathie auprès du spectateur, aussi bien dans leurs actions de groupe que d’autres individuellement ou en duo.


De plus Wes Anderson crée un effet de contrepoids très bien dosé et salvateur avec toujours cet humour absurde et bizarroïde certes plus en retrait que d’habitude mais qui pullule toujours de belles idées sans pour autant devenir intrusive dans l’exploitation de ses thématiques. Pouvant aller d’une idée visuelle toute simple avec l’ambiance sonore d’Alexandre Desplats en fond (les scènes de bagarres résumés à un nuage de fumée dévoilant uniquement certains membres, le face à face western de la première partie) comme de certaines répliques qui font double-sens (Chief qui nous sort son



Je le sens pas



dés qu’il voit un chien mécanique). C’est des petites idées toutes simples, mais pourtant ça fait constamment sens dans la narration scénique du réalisateur de La Vie Aquatique et en stop motion (extrêmement abouti par ailleurs) là ou en film live certaines de ces idées sont inapplicables.


Enfin, un petit mot sur la VF de luxe qui est tout à fait appréciable et n’a rien à envier aux stars déjà présente dans la VO (bien que je regrette de ne pas avoir pu voir ce film en version originale en salle).


Pour conclure, c’est la suite logique de la filmographie de Wes Anderson : son The Grand Budapest Hotel se terminant sur une montée en puissance du nazisme dans l’Europe de l’Est qui jetait un froid, il est logique qu’avec son neuvième long-métrage on voit Wes Anderson entamer une évolution dans le ton de ses films. Cela restera à confirmer prochainement mais toujours est-il que si L’île aux chiens pourra très probablement laisser les non initiés sur la touche, il a toute sa place dans la filmographie de l’auteur texan dans ce qu’il propose. Et ce qu’il propose n’est absolument pas des moindres.

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5

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