La moyenne de mes notes sur Sens Critique en témoigne : je ne suis pas le plus difficile en matière de cinéma, quand bien même je m'attache à regarder en priorité des films qui ont de grandes chances d'obtenir mon approbation. Et les films de Wes Anderson en font partie. A l'heure où j'écris ces lignes, je n'ai pu observer son travail que sur Moonrise Kingdom et The Grand Budapest Hôtel, mais chacun m'a laissé peu à prou le même sentiment général : assez positif, quoiqu'avec une pointe de regret, sans que concrètement je sache pourquoi. D'un côté je ne pouvais nier mon ressenti qui refusait un bilan trop positif et de l'autre je me reprochais de ne pas être totalement entré dans un univers si soigné,si travaillé, où l'amour du cinéaste pour son métier et son talent se ressentaient à chaque séquence. Je préférerais largement chercher des reproches à des films qui mettent des failles visibles bien en avant que ce type de long-métrage tant personnalisé. Mais c'est ainsi.
J'osais espérer que l'Île aux Chiens et sa stop-motion (déjà expérimentée dans Fantastic Mr Fox qu'il me faut rattraper) m'aident à définitivement valider le style Andersonien. Et si au final je pense que je vais finir par réellement l'adopter, et si le film est une réussite incontestable intrinsèquement, j'ai toujours cet arrière-goût me faisant dire "Oui mais...". C'est frustrant.
Parce que ce film regorge de qualités. Déjà, dès la première image, vous savez que vous regardez du Wes Anderson : symétrique, coloré, calculé au millimètre, à mi-chemin entre l'indépendant et le grand public. Les habitués du bonhomme ressentiront sans doute une répétition mais je n'en suis pas encore là. Pour l'instant je savoure ce style particulier. Dans le même ordre d'idées, outre une réalisation exploitant parfaitement son animation image par image au point d'avoir l'impression de feuilleter un livre d'images mi européen mi-manga, c'est bien entendu un travail d'orfèvre sur l'esthétique. On est bien plongé dans l'ambiance orientale (aidé en cela par la musique d'un Alexandre Desplat dont Anderson tire vraiment le meilleur parti) et le tout est magnifique et si plaisant à regarder. L'animation stop-motion ne cesse de me fasciner depuis les travaux de Nick Park et entre ce film et Kubo et l'Armure Magique (BTW, regardez-le !), on voit qu'elle a encore de beaux restes et n'a pas à rougir face à la 3D généralisée. Reste qu'il s'agit d'un style particulier qui peut rebuter, ça peut se comprendre. Une pensée à mon frangin qui s'est privé du film car peu friand de cette animation pour finalement regarder un slasher cliché et chiant. Mouarf.
L'ambiance est l'autre curiosité du film, au delà de l'aspect sonore et visuel. L'Île aux Chiens adopte un mélange de tons assez étrange et intriguant, sorte de croisement entre une farce satirique type Dr Follamour, un conte plus enfantin, un dessin animé rétro vis-à-vis de la susnommée stop-motion et un animé. On ne sait jamais sur quel pied danser, ce qui est à la fois une force et une faiblesse. On passe très vite par diverses émotions, nous prenant ainsi davantage de court lorsque surviennent des touches d'humour toujours adéquates, que ce soit grâce aux échanges des personnages (le running-gag du vote devient plus drôle à chaque répétition) ou via le caractère absurde de certains aspects de l'histoire.
Parce que oui, nos canidés sont bien entendu très bien interprétés (vu en VOST). Anderson ayant toujours un casting maousse costaud, il ne pouvait en être autrement. Chacun apporte sa petite touche et personnalité, mention spéciale à un Bryan Cranston impérial en Chief, et un Jeff Goldblum généralement savoureux qui n'arrivera décidément jamais à se détacher de ses fameux tics de langage. Note à moitié H.S, je salue cette rareté qui est de mentionner à la fois le casting original et français sur l'affiche, ce dernier étant il est vrai composé d'acteurs aux noms bien plus reconnaissables que ceux de nos comédiens de doublage.
Enfin cet aspect satirique est dû à un fond certes simple et parfois naïf mais malgré tout pertinent tant il fait écho à notre passé, sinon notre situation actuelle à divers degrés. Là où The Grand Budapest Hôtel semblait plutôt une grande blague innocente (ceci dit sans aucun jugement péjoratif), l'Île aux Chiens se sert de cette innocence et de cet aspect conte pour mieux dénoncer à sa manière les travers d'un régime totalitaire basé sur les préjugés et conditionnant sa population à une pensée binaire. Ce n'est pas qu'un simple joli livre d'images et tant mieux. Le tout en rendant hommage au meilleur ami de l'homme, ça va de soi, appellation que le film met un point d'orgue à rappeler deux fois.
Alors où est le problème ? Outre une fin peut-être trop positive et convenue (encore que la façon de raconter l'histoire pardonne en partie cet écart), je reviens sur cette ambiance qui intrigue certes mais peut sortir du film tant on peut se demander à un moment à qui s'adresse le long-métrage. A être aussi riche et à multiplier les ruptures de tons, se perdre est assez facile, à plus forte raison pour ceux qui rejetteront telle ou telle direction. Un équilibre délicat déjà constaté dans ses deux précédents essais mais qui m'avait moins perturbé alors.
A l'inverse, mon plus gros problème avec le style Anderson et notamment dans ce film (plus que précédemment donc), c'est son rythme. Je ne saurais dire exactement ce qui cloche mais il semble à mon sens pas assez rapide pour être effréné et nous empêcher de nous poser trop de question, et de l'autre pas assez lent et posé pour nous installer dans un cocon moelleux et profiter davantage du background. C'est plus flagrant ici probablement parce qu'il s'agit d'un film d'animation condensé sur 1h40. Ce qui m'a aussi fait dire qu'au vu de la richesse graphique et de la pertinence du propos, ce film aurait fait un excellent animé. On aurait pu davantage développer ce background politique ainsi que nos personnages à poils, rendant le tout plus mémorable encore.
Mais voilà, je dis tout ça et dans le même temps je me sens cruel de critiquer un film tel que celui-ci. Tant d'efforts, de soin, de talent et de personnalité au service de cette oeuvre me fait presque culpabiliser. Mais un style si précis est difficile à appréhender dans l'immédiat. Une chose est sûre, Wes Anderson m'a toujours donné envie de voir ses autres pépites et de revoir celles déjà achevées. Et en soi, c'est déjà beaucoup.
P.S : Suis-je le seul à m'avoir capté un jeu de mot/référence à Star Trek quand on nomme un segment du film "A la recherche de Spots" et que le troisième film de la saga est intitulé "A la recherche de Spoke" ? Bon après c'est probablement mon goût pour les calembours à deux ronds qui me fait dire ça...