Il y a toujours quelque chose d’émouvant à l’idée d’aller voir un film de Wes Anderson. Comme si, quelque part, le cinéaste texan parvenait à mettre en image tout notre folklore intime en transgressant une universalité quasi féérique, se diluant dans un formalisme hétérogène. Film d’anticipation canin se déroulant dans un Japon dystopique, « L’île aux chiens », au-delà de sa modernité, est surtout un récit appelant à la nostalgie, au moins visuellement. À ce titre, Wes Anderson n’hésite pas à multiplier les références pétulantes aux classiques du cinéma japonais, où l’on reconnaît notamment la fibre d’Akira Kurosawa (via utilisation de la bande originale des « Sept Samouraïs »), la force tranquille de Yashiro Ozu, ou encore les expérimentations stylistiques de Seijun Suzuki. Tout cela combiné à l’usage de la stop-motion donne au film un caractère hybride se situant entre nostalgie et modernité, mais attribuant surtout à chaque image un formalisme à priori indépassable, sublimant les esprits des protagonistes face à la noirceur romanesque.
Alors oui, il serait facile de citer « L’île aux chiens » comme étant un fantasme de cinéma. Après tout, Wes Anderson assemble une inventivité presque orgastique. En grand créateur de forme, il joue avec l’artifice filmique, submergeant son expression visuelle avec une puissance monochrome allant jusqu’à faire passer l’histoire au second plan. D’ailleurs, plutôt que de parler d’histoire, il serait plus tentant de parler de fable, mais il serait aussi tentant de dire que le génie andersonien ne s’adapte pas à ce futur pré-apocalyptique. Il y a dans « L’île aux chiens » une richesse incontrôlée empêchant le film d’atteindre une véritable abstraction, préférant l’attraction. Et à force d’emphase, il s’apprivoise finalement comme un bel emballage dont le contenu se résume à de belles étincelles. Occasionnellement poétique, « L’île aux chiens » nous laisse aborder un autre problème, plus propre au cinéma de Wes Anderson dans sa globalité ; ce problème, c’est l’enfermement. En effet, la signature d’Anderson porte, depuis « Moonrise Kingdom », les signes précoces d’un catabolisme artistique « à la Tim Burton », tant le cinéaste semble se répéter au fil de ses œuvres sans réelle évolution. S’il ne sombre pas un benoit autopastiche, « L’île aux chiens » rapproche son cinéaste vers le précipice de l’auto-caricature tant il met en valeur son cinéma d’une manière de plus en plus éculée. Avec « L’île aux chiens », Wes Anderson s’est-il contenté de faire du Wes Anderson ? On en a bien peur, la réponse à cette question est d’emblée positive.
Et malheureusement, à travers une certaine forme de moralisme, on serait également tenté de dire qu’Anderson glisse sur la pente du maniérisme. Derrière son innocence canine, le film se définit sous les traits d’un propos politique mettant notamment en garde contre les « fake news ». L’antagoniste du film, le maire dictatorial Kobayashi — pratiquant la désinformation massive — propose de déporter les chiens sur une île pour éviter une épidémie ; alors qu’en réalité, il le fait car il est victime d’une phobie de cette espèce. Dans sa ligne de mire, Anderson vise une critique politique consensuelle en dressant ce qui s’apparente à un plaidoyer égalitariste. C’est beau. Mais ce propos est tellement appuyer qu’il rend la poésie visuelle de « L’île aux chiens » soudainement sourde, et le scénario trivial.
Bref, « L’île aux chiens » ne manque pas de couleur, mais de saveur. Aboyant un maniérisme hermétique à toute suggestion et une dystopie miniature tournant dans le vide. Amours chiennes.
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