Wes Anderson a une âme de géomètre. Depuis Fantastic Mister Fox ou Moonrise Kingdom on sait le réalisateur américain adepte des longues trajectoires horizontales, des zooms vertigineux ou des verticales ascensionnelles, bref de ces mouvements de caméra qui explorent l'espace cinématographique en long en large et en travers. Pas étonnant que dans la plupart de ses histoires surgissent ici où là cartes, plans et autres organigrammes, il s'agit quand même de donner aux spectateurs quelques points de repères pour le familiariser avec la géographie des lieux. L'île aux chiens ne déroge pas à la règle, le metteur en scène commençant par nous montrer une carte de l'île - à l'intérieur du plan machiavélique du méchant - puis s'en donne à cœur joie pour explorer cet espace : nacelles qui longent, montent et descendent, structures de fêtes foraines qui font quitter le plancher des vaches et cette façon d"emmener sa petite compagnie d'aventuriers d'un point A à un point B sans que jamais le chemin ne soit une simple ligne droite.
Car pour briser la linéarité à laquelle le récit pourrait se réduire, Wes Anderson fait appel à sa science narrative. Comme les trajectoires de ses personnages dans le scénario, le rythme de son récit n'est jamais monotone. Parenthèses, flash-backs, insertions incongrues, commentaires introspectifs...toutes sortes de micro ruptures viennent sans cesse interrompre le premier niveau de narration et permettent au film d'échapper au ronronnement habituel des contes qui se déroulent traditionnellement avec un bel ordonnancement. Rien de tel ici, et bien que nous soyons dans une fable, l'attention du spectateur est sans cesse mise à contribution pour raccorder les morceaux que le réalisateur insère ici ou là. Un travail de découpage/collage ingénieux qui fait de l'île aux chiens un véritable origami cinématographique.
Mais le film est loin de se résumer à un simple terrain d'application des talents d'Anderson en matière de construction narrative (relayés par des équipes d'animation dont le générique de fin montre l'incroyable diversité ) L'île aux chiens est aussi riche sur le fond qu'il est habile sur la forme.
La raison première tient au choix de la culture du Japon que le réalisateur décline dans les décors, les costumes, la musique (superbe trio de percus) ou certaines mythologies (les samouraïs, les sushis...).
La seconde tient au fait que derrière cette histoire de chiens reniés, expulsés et ghettoïsés dans une gigantesque décharge se pose, en filigrane, la lecture de thématiques contemporaines comme celle bien évidemment liée à la question des réfugiés mais aussi celle de la consommation non durable de biens ou de la place des animaux dans notre société. Une réflexion sur notre monde contemporain donc mais avec beaucoup d'humour et, c'est un comble pour une histoire de chiens, sans le moindre cynisme.
Un film riche, très riche peut-être trop à certains égards
Personnages/interprétation (voix) : 7/10
Scénario/histoire : 8/10
Réalisation/animation : 9/10
8/10