Ce film fait partie de mes 10 films préférés de tous ceux que j’ai visionnés jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai pas compté le nombre de fois que je l’ai vu. À chaque fois, je suis fasciné, mais je reste sans voix. Il semble que je sois plus loquace pour critiquer que pour admirer. C’est grave, docteur ? Pour moi, non !

Je vais vous dire en quelques mots pourquoi je considère que c’est du grand cinéma :

- La priorité à l’image La photographie de KURODA Kiyomi dit tout de la vie quotidienne de ce couple en évitant la lassitude des répétitions grâce à la variété des cadrages. Plus je vois de films, plus j’attache de l’importance au directeur de la photographie. Le rôle artistique du réalisateur fut exagérément valorisé par les critiques des Cahiers, qui passaient leur temps à démolir ceux qui ne faisaient pas partie de la bande [1]. Ces plumitifs sont passés à la réalisation et leurs fidèles les ont portés aux nues comme des gourous. Les médias ont fait leur gloire en les starisant par l’appellation de “nouvelle vague” [2].

- L’absence de discours Je fuis de plus en plus les films dont les personnages nous expliquent longuement le pourquoi du comment de ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font et ce qu’ils feront et ceux qui nous abreuvent de discours édifiants. Le cinéma parlant, qui se voulait "artistique", a donné trop d’importance aux scénaristes qui ont rivalisé avec les auteurs de théâtre pour écrire de "brillants" dialogues que les acteurs ânonnent avec plus ou moins de bonheur.

Ceci dit, je comprends que l’absence de dialogues est une situation limite que peu de films peuvent se permettre sans ennuyer sur la durée. Il n’est pas facile de trouver la bonne mesure. Pour moi, elle se situe dans le recours à des dialogues anodins qui laissent parler les images et favorisent ainsi l’interprétation ouverte.

- L’absence d’intrigue Les scénaristes de cinéma n’ont rien inventé. Ils reprennent les schémas des situations dramatiques du théâtre et de la littérature qui furent analysées par Georges Polti à la fin du XIXe siècle [3]. Hollywood a gravé les conventions en imposant un happy end alors que le théâtre antique se terminait souvent en tragédie. L’intrigue donne une fausse vision d’une problématique, car il n’a pas de fin dans la vie réelle. Rares sont les films qui échappent aux conventions d’une intrigue ou, plus exactement, de l’intrigue principale. Les scénaristes s’ingénient en effet à mêler plusieurs intrigues au point d’égarer totalement le spectateur. Ce phénomène est flagrant dans les séries dont le scénario est écrit au fur et à mesure des résultats de l’audience.

- L’absence de musique extradiégétique Je sais que les films muets étaient accompagnés par un pianiste qui reprenait le plus souvent des thèmes répertoriés ou quelques fois improvisait. Les salles, qui se voulaient "artistiques", payaient un pianiste qui reprenait des thèmes du répertoire classique. Avec le parlant, Hollywood a industrialisé la musique orchestrale. Celle des génériques est le plus souvent d’une prétention insupportable pour ceux qui ont encore de l’oreille, c’est-à-dire qui savent distinguer le bruit du son. J’ai particulièrement en horreur les grincements d’un violon qui nous annoncent à l’avance qu’un homme et une femme vont copuler ou plutôt s’embrasser pour respecter les codes puritains. Aujourd’hui, presque tout le monde accepte comme une évidence la musique extradiégétique qui martèle les discours à coup d’effets sonores. C’est le cas notamment de Great Expectations (2011), Vikings (2013), The American West (2016) ou I Care a Lot (2020).

La musique extradiégétique est le point faible de ce film. Je ne m’en étais pas rendu auparavant, mais aujourd’hui, je me rends compte qu’elle n’est pas en phase avec le rythme des images et qu’elle distrait donc le regard. Pire encore, elle va et vient sans raison apparente, sinon pour meubler le silence.

Pour conclure, je vous invite à lire la critique de Morrinson bien qu’elle soit un peu emphatique.

Notes :

[1] Lire à ce propos : Les bas-fonds de la critique (Rivette et Daney), Sens Critique.

[2] Le terme “nouvelle vague” fut emprunté à Françoise Giroud qui l’a utilisé dans le contexte de sondages réalisés depuis la fin des années 1950 sur les jeunes. Ce terme technique évoque une série de sondages réalisés sur un même thème à des dates différentes. Voir par exemple ce sondage de l’Ifop : Balise d'opinion #294 - Le regard des Français sur les bénéficiaires de la politique menée par Emmanuel Macron - Vague 7, IFOP, 14/02/2025.

Je n’ai pas trouvé le texte de la vague de 1957, souvent citée, mais celles de 1968 et 1969 :

- Françoise Giroud, La Nouvelle Vague, L’Express, 23-29 déc 1968.

- Françoise Giroud, La Nouvelle Vague, L’Express, 17-23 fév. 1969.

Quant à l’attribution de ce terme au journaliste Jean Cau, je vous invite à lire l’article : "L’Express" refoule "La Nouvelle Vague", Séquences, novembre 1960.

[3] Lire : Dossier 36 situations dramatiques, Monde en Question

Lire :

- Article Où va le cinéma ?, Ciné Monde.

- Article Films bavards vs non bavards, Ciné Monde.

- Dossier Films non bavards, Monde en Question.

Serge-mx
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Serge LEFORT

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