Je ne connaissais pas Kaneto Shindô avant, j'ai donc avancé en terrain vierge. Conformément à la présentation du film, il n'y a aucune ligne de dialogue. Nous suivons le quotidien de paysans qui cultivent leur terre : portage d'eau, ramage jusqu'à l'île, escalade de la colline, arrosage, repas quotidiens, ensemencements, nettoyages. Tout y passe.


Il est assez intéressant d'apprendre en détails le travail sur la rizière, mais la grande particularité du film est surtout la qualité de sa mise en scène. Le début donne déjà le ton, avec sa musique et ses plans aériens qui nous présentent l'île comme personnage à part entière : ce sera simple, léger. Les sous-titres indiquent en quelques mots l'enjeu pratique : rendre une terre aride, fertile. Or, il fallait un sacré génie pour rendre intéressante une histoire aussi répétitive, réaliste et épurée, ce qui est le cas ici. Ce qui m'a d'abord saisi, c'est le sens du rythme, que j'ai perçu non pas d'abord comme une sorte de fatalité subie par les personnages, mais au contraire comme un retour essentiel aux sources, avec des gestes répétés à l'infini qui font adhérer les personnages à une sorte d'harmonie avec leur environnement naturel : le rythme naturel sur lequel les personnages se règlent devient leur propre style de vie. Chacun des gestes, traits du visage, ou effort, est restitué dans sa lenteur essentielle, lancinante. Sans même parler, les personnages parviennent à nous transmettre toutes leurs émotions. Cependant, le cadre n'est pas tout rose, comme le montre cette unique scène où la perfection du rythme n'est pas respectée par la femme, qui reçoit une franche correction par son mari au lieu de recevoir un support moral.


De son côté, la photographie offre une véritable ode à la nature, sublimant le réalisme du quotidien de manière poétique. Nous suivons le déroulement de journées et de saisons entières, comme si nous y étions, accompagnant les personnages dans leur labeur quotidien. Ainsi, le changement de luminosité ou de saison est capturé à l'image, ainsi que chaque aspect de l'île. Rarement un film est allé aussi loin dans le sentiment de déconnection des bruits de la société, à peine altéré par quelques fêtes saisonnières qui ne durent qu'un faible instant.


L'absence de dialogues permet aux sons de l'environnement naturel de remplir l'espace : la terre assoiffée de l'eau frémissante apportée par les paysans, le vent et les marées balayant le paysage, les bruits d'animaux. Et la très belle musique du film accentue l'impression répétitive du travail tout en lui apportant une certaine légèreté. Je trouve qu'il y a un réel équilibre entre silences et sons ou musique.Le rythme réglé du travail des paysans n'est rompu que par deux événements majeurs. Le premier est positif, bien qu'apparemment anodin : les enfants pèchent un poisson vivant. La famille est alors en liesse, les sourires illuminent leurs visages graves, grâce à ce petit événement qui devient grand à leurs yeux, par contraste avec la grande répétitivité de leurs journées. C'est le seul moment où la société les rattrape un peu, représentée par ces quelques brèves images de télévision qui montrent des corps fous et tordus. Le second événement est au contraire triste, nous parlant de maladie qui dérègle le rythme habituel en apportant une tension nouvelle, à laquelle la musique répond. Ainsi les coups de rames du père qui va chercher de l'aide de l'autre côté du rivage deviennent plus intenses, en rupture avec le déroulement quasi naturel des gestes habituels. Le dénouement tragique apporte une réelle touche de fatalisme. Face au drame, il n'existe qu'une fausse alternative : tout laisser tomber ou continuer à travailler.


Bref, L'Île nue est un magnifique film contemplatif, qui transcende une histoire simple, épurée, et sans dialogues par un gros travail de mise en scène, de photographie, et de rythme. Un pur moment de cinéma.

Arnaud_Mercadie
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le 26 avr. 2017

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Dun

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