Il y des destinations comme ça qui vous attirent…
Moi quand j’ai vu ce titre – l’île rouge – quand j’ai observé cette affiche aux couleurs séduisantes, et surtout quand j’ai découvert, en lisant le pitch, qu’il serait question dans ce film de l’envoutante Madagascar, je n’ai plus cherché à en savoir davantage. J’ai pris ma valise pleine de souvenirs et j’ai accepté la proposition de voyage…
…J’aurais dû faire plus attention.


Parce qu’en effet, en me renseignant ne serait-ce qu’un peu plus, j’aurais alors appris que cette excursion cinématographique était en fait proposée par Robin Campillo. Et si j’avais découvert ça plus tôt que face au générique du début, je pense que je me serais abstenu.
Car qui est Romain Campillo ?
Romain Campillo c’est l’auteur (césarisé) de 120 battements par minute ; un film qui, à l’époque de sa sortie, m’avait laissé (et c’est un euphémisme) plus que dubitatif.
Dubitatif d’abord face à cette manière très « wikipédique » d’avoir abordé son sujet. Dubitatif encore face à cette narration bouclant sans cesse sur ce même arc jusqu’à l’écœurement. Dubitatif enfin face aux quelques rares tentatives formelles qui s’efforçaient d’égayer un film totalement indigent dans ce domaine…
…Et malheureusement l’île rouge se révèle très vite elle aussi être un peu tout ça à la fois…
C’est même totalement ça en fait.


Nous plongeant dans la décennie 1970 de Madagascar, l’île rouge choisit le moment idéal pour nous donner à voir une multitude de réalités de ce fascinant pays. Seulement voilà, de ce choix, le film n’en fera malheureusement pas grand-chose.
Cantonné dans un camp militaire qu’il entend filmer dans un format carré fort étriqué, Campillo nous restreint la plupart du temps à un regard d’enfant, celui du personnage de Thomas. On nous dit alors pendant un repas de famille que Madagascar est un paradis sur terre, mais on n’en fera finalement presque rien : une vue à travers les hublots d’un avion militaire, un bosquet de bambous devant lequel les couples font le piquet, un paysage littoral face auquel on prend (littéralement) une photo.
« Normal, diront certains. C’est là un choix d’auteur. Un regard subjectif assumé. »
Soit, mais moi, face à un argument comme celui-là, j’y vois plusieurs problèmes.


Premier problème : si le choix assumé est de restreindre le regard porté sur l’île à celui du seul Thomas, alors pourquoi ces quelques scènes orchestrées autour de points de vue autre que le sien ? Pourquoi pas n'y en a t'il pas aucune ? Pourquoi pas n'y en a t'il pas au contraire davantage ? Pourquoi d’ailleurs ce final totalement déconnecté de la présence de l’enfant et qui apparait comme entièrement déconnecté du reste du film ? (On en reparlera…)


Deuxième problème d’ailleurs : pourquoi ce regard d’enfant n’est-il pas celui d’un enfant mais plutôt celui d’un adulte parlant au travers d’enfants ? Parce que moi je n’y ai pas cru un seul instant aux personnages de Thomas et de Suzanne. Ça débite du texte littéral. Ça énonce les éléments de la fiche de caractérisation du personnage sans parvenir un seul instant à faire illusion (surtout en ce qui concerne Suzanne).


Troisième problème : pourquoi s’être imposé un format aussi restreint si c’est pour au final galérer à ce point avec ? Tant qu’il s’agit de filmer des visages figés en gros plans, le format carré ça va. Mais le problème c’est que le cadre de Campillo est assez régulièrement mouvant, ce qui amène à rendre l’image souvent confuse. Les formats resserrés, ce n’est vraiment pas adaptés au mouvement (en tout cas de mon point de vue). Le champ de vision étant restreint, on perd vite ses repères.
En format resserré, il faut plutôt privilégier (du moins à mon sens) les plans fixes et plutôt longs, pour jouer du format vignette, pour tirer pleinement du cadre intimiste. Or Campillo fait tout le contraire. Il se risque même à user assez fréquemment de la coupe, parfois presque dans une logique de montage cut, gâchant ainsi tout l’attrait plastique d’une photographie pourtant séduisante.
Pourquoi ce format alors que tout l’objet au centre du film – de l’aveu même du titre – c’est l’île ? Avec un cadre plus large, chaque moment – même intimiste – pourrait être l’opportunité de poser des paysages, voire même des intérieurs.
Pourquoi même ce choix quand il s’agit de filmer une forêt de bambous ? Un camp ? De vastes contrées survolées ? Une foule immense investissant un aéroport ?


Ce qui me désole, c’est que les explications à chacun de ces problèmes me semblent pour le moins toutes évidentes.
Par exemple, à la question de savoir pourquoi le choix a été d’adopter le point de vue du gamin, quand bien même ce dernier ne se montre pas le plus pertinent pour raconter ces personnages et ce lieu ; et cela de l’aveu même de l’auteur d’ailleurs puisqu’il se doit de temps en temps de transiger avec sa propre règle ? Hypothèse posée pendant le visionnage du film : Campillo parle en fait ici de sa propre vie via ce gamin. Il aurait donc privilégié le choix égocentrique plutôt au choix artistique.
Réponse obtenue en sortant de la salle et en vérifiant chez moi : bingo ! Robin Campillo a bien passé sa jeunesse dans un camp militaire à Madagascar.
Tout ça nous apprend donc une chose : c’est qui était en fait l’intention de l’auteur depuis le départ ce n’était pas de parler de Madagascar, mais bien de parler de lui. Sa vie, ses parents, ses souvenirs émus, ses sentiments bouleversants…
L’île au fond n’est qu’une toile de fond. L’île n’est qu’un détail. Un détail auquel on entend donner la parole pendant dix minutes en conclusion afin de compenser cet acte trop manifeste d’égotisme. Tout un symbole sur lequel je reviendrai d’ailleurs très vite.


« Mais après tout pourquoi pas ? » pourrait-on me rétorquer.
Pourquoi un auteur n’aurait-il pas le droit de raconter sa vie ? A cela je répondrais que, certes, il a le droit de le faire, mais comme moi j’ai le droit en tant que spectateur de considérer si cette vie m’intéresse peu ou pas.
Or le fait est qu’elle ne m’intéresse pas. Et si elle ne m’intéresse pas ce n’est pas parce que la vie de Robin Campillo n’est pas suffisamment trépidante à mon goût. C’est juste que, cinématographiquement parlant, Robin Campillo n’est pas parvenu à me la faire ressentir autrement que par ce qui se limite – la plupart du temps – que par de la banale description.


Pourtant il y a bien quelques fulgurances ici ou là : une table en aragonite qui fait soudainement voyager dans les terres malgaches, un père Noël qui sort d’une carlingue semeuse de mort ou bien encore un ensemble de photos éparses qu’on enchaine comme autant de quotidiens différents qu’on capture pour mieux les emporter avec soi…
…Mais à côté de ça, combien de repas de familles barbants ? Combien de discussions artificielles en compagnie de Suzanne l’androïde ? Combien de « Oh Thomas ! Tu es encore là à écouter/observer quelque-chose qui n’est pas fait pour toi ! » qui ne sont là que pour justifier le fait de sortir du cadre de perception normale d’un jeune enfant ?


Ce film ne cesse de chercher à sortir de ses propres conventions : la preuve à peine avouée que celles-ci sont mauvaises. L’enfant n’était pas le choix narratif le plus pertinent. Un artiste dont la priorité serait l’expérience sensorielle de son sujet au service de son spectateur aurait abandonné l’enfant. Il aurait multiplié les points de vue. Il serait sorti du camp. Il aurait exploré l’ile… Mais à la place Campillo a préféré nous offrir ses souvenirs de petons foulant le gravier du mess des officiers…
…C’est un choix certes. Mais c’est choix égoïste et égotique.
Madagascar, elle, devra attendre sagement d’avoir son petit moment une fois que le nombril qui colonise ce film aura décidé de s’écarter du cadre.


Il y a quand même quelque chose de révélateur – et de symptomatique – à ce que les rares tentatives de mise en scène qui jouent sur les sens dans ce film ne se concentrent au final que sur les sensations d’enfance du bon Robin, quand à côté de ça tout le reste ne mérite que son mépris formel.
Ah ça ! C’est qu’on y accordera de l’attention sur les petits bruits que font sous les petits pieds de Thomas les cailloux mignons dispersés devant le mess des officiers. Par contre, pour ce qui est de la vie malgache, on s’arrêtera à quelques bribes de discours récités de manière bien didactique en fin de film, qu’il s’agisse de l’échange entre Miangaly et Andry ou bien des prises de paroles de militants à la sortie de leur avion. Des discours bon teint contre l’oppression des blancs, mâtinés tant qu’on y est de quelques références historiques très wikipédiques, et le tout filmé bien platement.
C’est bien la peine de s’acheter une telle caution morale par un geste aussi artificiel quand le film en son entier ne fait qu’accomplir factuellement ce qu’il prétend pourtant condamner par le verbe.


En fait cette anecdote concernant la conclusion de ce film est pour moi révélatrice à elle seule de ce qui ronge tout cette île rouge. Le vrai problème qui explique tous les autres c’est que Campillo ne semble finalement même pas avoir conscience de ses actes.
Voilà comment on se retrouve avec un film qui fait le choix d’un point de vue pour mieux chercher à le contourner en permanence.
Voilà comment on se retrouve avec un film qui opte pour un format carré aux vertus intimistes mais qui malgré tout cède aux sirènes absurdes du bougisme.
Voilà comment on se retrouve avec un film qui part dans un trip sur Fantômette mais sans jamais parvenir à le faire vivre autrement que comme un kyste formel et narratif.


Au fond, comme 120 battements par minutes, l’île rouge est un film qui mobilise un sujet très riche et très fort mais tout en ne parvenant pas au final à en faire quoi que ce soit d’aussi riche et d’aussi fort. C’est même tout l’inverse.
Et si d’un côté il sait s’appuyer sur un jeu d’acteurs plutôt convaincant (enfants exceptés) et cela tout en parvenant à sortir parfois quelques fulgurances visuelles, il n’en reste pas moins qu’il soit pour l’essentiel pauvre, platement descriptif et mal maitrisé.


Bref, triste bilan concernant cette séance nostalgie signée Robin Campillo.
A la base, le titre promettait l’exploration d’une île révolutionnaire.
Au final on n’aura eu qu’un film de vacances façon séance diapo,
Et pour seul horizon en guise de colonisation artistique, le désert.

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le 4 juin 2023

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