Dix ans après Scarface, Brian De Palma décide une nouvelle fois de réaliser une tragédie grecque. Toutefois, il ne s'agit plus ici de l'ascension éclaire d'un émigré mégalomane apeuré par son destin. Au contraire, Carlito Brigante est un repenti qui ne souhaite qu'une seule chose : quitter son quartier et commencer une nouvelle vie aux Bahamas. Si Scarface apparaissait déjà comme une œuvre singulièrement pessimiste (puisque le rêve américain n'est pas accessible aux immigrés), Carlito's Way l'est peut-être encore davantage. En effet, alors que la chute de Tony Montana s'explique par sa folie, celle de Carlito est encore plus effrayante dans la mesure où celle-ci semblait prévue dès sa naissance. Ce qui frappe en premier lieu s'agissant de ces deux personnages est leur inadaptation au monde dans lequel ils se trouvent. Tony Montana se brûle les ailes comme Icare car il souhaite intégrer des milieux sociaux qui ne lui sont pas destinés tandis que Carlito ne parvient pas à convaincre ses proches qu'il souhaite radicalement changer de vie.
Pour la forme, tous les codes du cinéma de De Palma sont présents. Comme dans Dressed to kill, les miroirs annoncent la mort ou l'échec tout en mettant en valeur la complexité des personnages. A l'image de Scarface, l'omniprésence du rouge dans certaines scènes anticipe la tragédie qui va suivre. Le choix de la musique originale semble toutefois moins judicieux s'agissant de Carlito's Way. En effet, pour Scarface, Brian De Palma expliquait que la musique disco avait été choisie car elle semblait être celle que Tony Montana était le plus susceptible d'écouter. Pour autant, en utilisant une nouvelle fois ce genre pour Carlito Brigante, alors que celui-ci est bien plus calme et plus réfléchi que le baron de la drogue montré dans Scarface, ce choix semble moins opportun.
Il convient néanmoins de noter que De Palma réalise avec Carlito's Way un film beaucoup plus abouti au niveau de la mise en scène que ses films précédents. La tuerie dans le sous-sol du barbier, les premières retrouvailles avec Gail, la course-poursuite finale ou encore les scènes d'ouverture et de fin révèlent la richesse et l'ingéniosité de la mise en scène. La très grande qualité de la distribution (Al Pacino, Sean Penn et même Viggo Mortensen) est également à souligner.
Malgré quelques longueurs et des dialogues pas toujours très bien écrits (les dernières paroles de Gail à Carlito notamment), Brian De Palma démontre avec Carlito's Way qu'il maîtrise parfaitement la tragédie.