Le grand public réclamait une suite à Scarface. Il a été déçu. Al Pacino est toujours là. Mais Tony Montana est devenu Carlito Brigante. Le nom lui-même en dit long: le grand Montana est devenu Carlito. Dix ans plus tard, après s'être fait chopper, le gangster s'est rangé et est devenu un patron de discothèque rêvant de louer des voitures au soleil des Bahamas. Comme un fin définitive à l'aventure et un espoir banal de retraite dorée. La flamboyance des années fric est remise en question et Brian De Palma a troqué la surenchère contre une ambiance crépusculaire en demi-teinte. L'Impasse n'est pas une suite, c'est une méditation sur le temps qui a passé.
Quiconque craint de se repentir ne tire aucun fruit de ses erreurs. Chateaubriand
Comme l'écrivait déjà l'ancêtre du metteur en scène, le vicomte de Chateaubriand de Palma, la repentance est un des sujets de cet opus dont le titre français révèle autant que le début quel sera le résultat des tentatives de réinsertion du malfrat repenti prisonnier de son passé et du fatum cher aux Romains. Et sur son brancard les images de sa vie défilent devant lui en quelques secondes, ce qui devient le film que l'on voit à notre tour, un peu de la même façon que le vicomte de Chateaubriand nous contait ses Mémoires du fond de son cercueil.
Une virée nocturne en mer où Carlito est littéralement mené en bateau remplace le soleil de Floride de Scarface. Les ennemis ne sont plus seulement les flics mais les anciens amis d'hier, la famille du crime, autant dire le monde entier. Brian De Palma revisite le thème de la trahison esquissé dans Blow Out. Et l'Impasse démystifie donc Scarface et se perd dans les nuits de New York et dans le thème central chez Scorsese de la rédemption. Si l'on excepte la poursuite à la gare de Grand Central l'intention est de privilégier l'atmosphère aux morceaux de bravoure et l'histoire d'amour aux règlements de compte.
Le personnage d'Al Pacino perd le charisme de la jeunesse qui en faisait le boss quasiment invincible dans Scarface et gagne en humanité. Al Pacino a 10 ans de plus que dans Scarface, mais il en fait plus, l'effet de la taule sans doute. Et Carlito Brigante n'est plus l'archétype du gangster, mais celui de l'ex-truand qui a raccroché son flingue et qui s'accroche désespérément à une strip-teaseuse pour tenter de retrouver innocence et virginité morale. Il paraît usé, à l'amorce de son déclin avant de descendre encore d'un cran avec Donnie Brasco. Ses partenaires en profitent pour partager le devant de la scène. Sean Penn méconnaissable en avocat relooké façon cocker est inoubliable et Penelope Ann Miller dont le personnage a été particulièrement étudié se confond avec son rôle d'ancienne maîtresse amoureuse au point d'avoir eu une liaison avec Al Pacino durant le film.
Al Pacino tient l'un de ses meilleurs rôles même si le film donne une impression de déjà vu ailleurs. Les intellectuels apprécieront cette chronique d'une mort annoncée, les amateurs d'action resteront sur leur faim. Mais pour être juste une critique doit aussi tenir compte du changement de registre réussi par un réalisateur, du changement complet dans son architecture stylistique et de la prise de risque occasionnée par la rupture avec ce qui avait fait son succès précédent. C'est la raison pour laquelle Carlito's Way a été réévalué au cours des dernières années.