Von Sternberg/Dietrich : Vol. 6
L'Impératrice rouge sort en 1934, il marque la sixième et avant-dernière collaboration entre Josef von Sternberg et Marlene Dietrich depuis L'Ange bleu cinq ans auparavant. Le jeu de l'actrice est ici proche des films précédents, Sternberg l'incite à inventer : voix neutre, presque blanche, mouvement et impassibilité, ou inscrutabilité du visage. Elle est totalement isolée du jeu traditionnel et elle porte le film sur sa prestation, totalement dirigée par Sternberg. Le réalisateur à d'ailleurs déclaré à son propos « Tout au long de sept films, elle n'a eu ni la maîtrise de ses mouvements ni de sa voix, même l'expression de son regard et la nature de ses pensées ne lui appartenaient pas ». Josef von Sternberg nous offre une Marlene Dietrich perdue dans une Russie décadente telle qu'aurait pu la célébrer le dramaturge Pouchkine.
Le spectateur est avant tout placé face à une fresque historique gigantesque, dès le générique d'ouverture, Josef von Sternberg nous rappelle que quelques mille figurants on participé à ce long-métrage. Malgré le scénario inspiré par les mémoires de l'impératrice Catherine II, le réalisateur nous livre une vision personnelle de ce qu'était la Russie à l'époque, ou du moins ce qu'était le Palais Peterhof. L'espace est rempli d'éléments qui attirent notre attention, ce qui permet à Josef von Sternberg de multiplier les audaces visuelles dans un véritable délire baroque. Chaque élément a été soigneusement choisi, Sternberg allant même jusqu'à sculpter lui-même certains objets : des statues étranges qui ornent les escaliers aux lourdes portes sculptées que dix femmes ne suffisent pas à manœuvrer. Les acteurs sont par exemple obligés, pour aller d'un point à un autre, de faire de fastidieux détours. Lors des scènes de diner, ils sont plongés dans des chaises gigantesques, et le repas leur est servi dans des crânes. Le film possède un côté très fantasmagorique.
Les décors ne sont pas les seuls éléments qui semblent sortis de nulle part dans L'Impératrice rouge. Les lumières artificielles et les clairs-obscurs utilisés par Josef von Sternberg n'ont pratiquement jamais été aussi bien maitrisés. Le personnage du grand Duc Pierre est un élément central de la folie qui parcourt le film. Folie car le Duc nous est avant tout présenté comme un fou, un dégénéré. Sa folie se traduit par ses actions ; il perce des trous dans l'œil d'un Christ crucifié ; il décapite des statuettes ; lors des jours de pluie, il fait manœuvrer ses troupes à l'intérieur du palais ; il tire sur ses sentinelles. La performance de Sam Jaffre, dont c'est ici un des premiers rôles, est saisissante, la folie et la cruauté de son personnage se lit littéralement dans son regard. L'Impératrice rouge est une représentation de l'art du vrai-semblant que Josef von Sternberg maitrise à la perfection.