« L’Impératrice Rouge » est la sixième collaboration de Josef von Sternberg et de la grande Marlene Dietrich. Sorti en 1934, produit par la Paramount, il ne recueillit qu’à l’époque un très faible succès critique. Il s’agit d’un film en costumes retraçant la vie de l’impératrice Catherine II de Russie, prenant toutefois des libertés avec la réalité historique.


Sophie Frédérique de Prusse est une jeune princesse belle et radieuse, douce et enjouée. Sa famille, modeste parmi les puissants de ce monde, est approchée par la terrible impératrice Elizabeth de Russie, qui propose le mariage de son neveu, le grand-duc Peter, héritier de l’empire, avec Sophie. C’est le comte Alexei, homme de grande prestance à la beauté ténébreuse, qui vient à la rencontre de Sophie, et qui les escortera, elle et sa mère, en Russie. Idéaliste et romantique, la jolie princesse n’a qu’une hâte : rencontrer son promis, dépeint par Alexei comme le plus beau, le plus grand et le plus noble personnage de la cour impériale de Russie.


Après un éprouvant voyage de sept semaines en carrosse, l’équipée atteint finalement le palais des tsars de Moscou. C’est l’occasion pour Sophie de rencontrer les notables de sa futur cour : le chambellan, le grand prêtre, et surtout l’impératrice Elizabeth, véritable maîtresse femme qui règne d’une main de fer sur ses terres. Elle ne tarde pas non plus à découvrir son promis, qui, à sa grande horreur, s’avère être un homme malingre et laid, à l’esprit et l’intelligence dérangés, bien loin de l’image qu’elle s’en faisait.
Bien vite mariée, Sophie ne tarde pas à déchanter. Loin de mener la vie glorieuse qu’elle s’imaginait, elle n’a pour rôle que de donner un héritier au trône, dans cette cour où tout lui a été ôté : sa mère, renvoyée en Prusse ; sa religion, désavouée pour une conversion rapide à l’orthodoxie ; jusqu’à son nom, jugé barbare par l’impératrice qui la renomme Catherine.


Le cadre et le personnage choisi comme sujet de « L’Impératrice Rouge » par von Sternberg n’intéressera pas tout le monde. Cependant, là où beaucoup de biopics commettent l’erreur de délaisser l’intrigue au profit du seul développement de leur personnage historique – qui devient, de fait, le seul intérêt du film – le cinéaste parvient au contraire à engager son spectateur au moyen d’une narration puissante, d’une atmosphère très travaillée, et d’interprétations brillantes.


Nous nous contentons en effet, pendant l’heure et demi que dure le film, de revivre, à travers ses yeux, les étapes importantes de l’accession au pouvoir de Catherine II.
Point de fioriture, et nous découvrons avec délice l’évolution de la jeune princesse craintive en une femme forte, indépendante et ambitieuse. Le film ne s’essouffle pas, et les scènes se succèdent, souvent cruciales à la progression de l’intrigue – intimement liée à la propre évolution de Catherine.


L’une des raisons parfois soulevées pour expliquer le faible succès du film à sa sortie, est la relative dureté, la noirceur de l’œuvre.


Cette impression est renforcée par les décors, somptueux, du palais des tsars. Baigné d’un noir et blanc très contrasté, qui offre peu de nuances de gris, le palais constitue un décor particulier. Il est à la fois d’un faste et d’un luxe ostentatoires : profusion de tableaux, d’ornements, portes en chêne séculaire colossales qui doivent êtres manœuvrées à plusieurs, etc., mais également très sombre, presque terrifiant. Sculptures aux formes torturées, décharnées, crânes et ossements, se retrouvent régulièrement dans les pièces du donjon.
Cette dualité crée une atmosphère étouffante, menaçante et dangereuse, autant que peuvent l’être les intrigues d’alcôve de la cour de Russie.


Enfin, le film est une réussite, car il est porté par des acteurs qui donnent vie à leurs personnages avec beaucoup de justesse et de présence.


Trois d’entre eux se distinguent.
D’abord, le comte Alexei, interprété par John Lodge, puissante figure de l’ombre de la cour impériale. Extrêmement séduisant, le comte est un amateur de femmes, et joue sur son charme animal pour les conquérir. Amant de longue date de l’impératrice Elizabeth, il est immédiatement attiré par la fraîcheur de la jeune Catherine. L’acteur possède une présence physique indéniable, un air à la Sean Connery qui lui donne une prestance, un charisme certain.


Mais, c’est une histoire de femmes, et les deux actrices qui les incarnent sont remarquables.


Elizabeth, jouée par Louise Dresser, campe avec autorité une figure de femme régnante implacable, indépendante et puissante, dans ce monde gouverné par les hommes. Elle possède également les répliques les plus acérées du film, saillies acides incessantes qui n’épargnent personne – et particulièrement bien senties.


Mais, la star du film, c’est elle, c’est Marlene, le doute n’existe pas un seul instant tant elle crève l’écran.


Capable d’incarner la jeune fille la plus douce, obéissante et romantique aux grands yeux étonnés, elle explose véritablement lorsqu’elle évolue, embrassant pleinement son rôle de grande duchesse Catherine, femme fatale à la sensualité affirmée et qui fait de son incroyable pouvoir de séduction, une arme redoutable. Sublimée par von Sternberg, Marlene est superbe de classe et de charisme, et lorsque, dans cette scène formidable, Catherine déambule parmi ses soldats, d’un calme souverain, l’on comprend aisément pourquoi chacun de ces hommes serait prêt à se damner au moindre battement de ses cils.
Féline, impériale, un drôle de sourire aux lèvres, Marlene est comme le chat sauvage au pays des animaux domestiques. Le chat qui s'en va tout seul.
Le chat qui n’a besoin de personne.

Aramis
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le 1 avr. 2015

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