“Un personnage comique est généralement comique dans l’exacte mesure où il s’ignore lui-même. Le comique est inconscient” disait le très sérieux Bergson dans le Rire.
Les deux principaux personnages du film poursuivent ainsi leur parcours d'une façon mécanique sans se soucier d'écouter les récriminations de l'autre. Susan, le personnage joué par Katharine Hepburn, décrit une trajectoire rectiligne et féministe inarrêtable, à la manière de Rosa Parks dans son bus, poussée par une seule exigence, son attirance pour David (Cary Grant). David voudrait bien décrire une trajectoire rectiligne qui ferait de lui le mari parfait, en commençant par être à l'heure à son mariage prévu le lendemain, mais l'histoire se terminera par l'écroulement de tous ses plans. La confrontation entre ces deux trajectoires aux motivations en tous points incompatibles est le principal ressort de cette comédie loufoque appelée aussi screwball comedy, d'après le nom de son inventeur, un cheval qui s´appelait Screwball, c´était un cheval blanc, il était mon idole et moi, moi j´avais dix ans.
Pour exécuter ce duo improbable, fallait-il aussi que les caractères des deux personnages soient eux-mêmes opposés. L'un est un paléontologue digne, posé, sérieux dans son travail, alors que l'autre est une foldingue instinctive dotée d'un punch infatigable. Parfaitement haïssable quand elle transforme la magnifique Torpédo décapotable de David en épave bonne pour la casse, Susan fait partie de ces miss catastrophes, ces tornades domestiques à qui rien ni personne ne peut résister. Ce que femme veut, Dieu le veut, telle est la morale désabusée mais lucide de l'histoire. Même si miss catastrophe est pour David, vu sous un autre angle, la chance de sa vie pour combler sa libido et échapper par la même occasion à un quotidien terne et prévisible.
L'insolite des trouvailles scénaristiques burlesques et des quiproquos, comme le chasseur qui pousse des cris de fauve, le léopard mélomane Bébé ou l'autre léopard, le sauvage qui s'est échappé du cirque, vient se greffer sur le squelette de cette comédie assez peu romantique pour apporter un genre de greenwashing aux scènes de restaurant ou de dîner qui sont en mode vaudeville plus convenu. Le problème est que la comédie, et en particulier la comédie loufoque, est le genre artistique qui vieillit le moins bien dans notre monde où les super héros et les plans CGI ont pris le pouvoir au box-office, et une partie des spectateurs s'endormira devant les scènes de chasse aux fauves dans un parc ou celles de recherche d'un os de brontosaure enterré par un chien. D'autres cependant admireront le tempo imprimé par Howard Hawks, qui n'est jamais ralenti par des dialogues plats ou des considérations philosophiques, mais qui est au contraire relevé par des ellipses ou des gags réglés au millimètre. Certains passages sont très drôles et le mérite en revient aussi et surtout à la performance de cette actrice hors normes qu'était Katharine Hepburn, bien secondée ici par le très Grant acteur Cary.