New York un dimanche soir. 3 heures du matin, heure difficile pour ceux qui rentrent, fatigués, après la trop courte parenthèse du week-end. Ils aspirent à un peu de repos avant le retour à la routine, les contraintes, etc.
Dans un premier temps, nous faisons connaissance avec les différents protagonistes. La plupart sont par deux, pas forcément des couples, mais à cette heure-là, il ne fait pas bon trainer dehors seul. C’est bien ce qui coûte cher à un homme guetté par Joe et Artie, deux jeunes voyous sans grande envergure, mais qui ont l’arrogance de la jeunesse et peur de pas grand-chose. Pour eux, ces gens qui rentrent chez eux sont des caves. Pour se faire une idée du film, autant dire qu’ici le cave ne se rebiffe pas, on n’est pas dans une comédie, loin s’en faut. Les deux compères en discutent avant, Artie est tout autant excités par les caves que par les filles. Bisexualité latente ? A mon avis, il est question de différentes sortes de perspectives. Plaisir sexuel avec une fille et plaisir d’effrayer un homme. Le cave c’est celui qu’on agresse et qu’on détrousse sans vergogne, parce qu’il est seul et qu’il craint de perdre le peu qu’il possède.
Le lien entre les différents personnages montrés apparait rapidement, puisque ces gens montent les uns après les autres dans la même rame de métro, pour rentrer chez eux. Les derniers à y faire irruption sont Joe et Artie. Ils sont quelque peu éméchés, mais bien plus sûrement ivres d’une certaine insouciance qui leur fait oublier en quelques secondes l’agression qu’ils viennent de commettre. Un des rares points faibles du film est d’oublier comme Joe et Artie cette agression, alors que celui qui a frappé n’y est pas allé de main morte (voir le bandage qu’il se met ensuite à la main). L’homme qu’ils ont abandonné est-il même encore vivant ? On ne le saura jamais. Bref, Joe et Artie sont ivres d’une certaine puissance qu’ils ont sur les autres, en les agressant à visage découvert. C’est une des premières questions que pose ce film : pourquoi n’ont-ils aucune crainte d’éventuelles conséquences judiciaires ? Ils ne font pas spécialement l’effet d’être au bout du rouleau, visages jeunes éclatants de santé, des vêtements corrects (veste). L’un d’eux ira plus tard jusqu’à annoncer son nom, procédé sans doute destiné à abuser de la position de faiblesse de son interlocuteur.
Joe et Artie veulent donc jouir de la vie, immédiatement. On voit bien ce que deviennent hommes et femmes avec l’âge. La question est de savoir de quoi on peut profiter pour quelques maigres dollars.
Dans la rame, la majorité aspire à la tranquillité. Joe et Artie ont beau jeu de semer la panique dans cet espace clos. Remarque au passage, la caméra se montre aussi agile qu’eux, allant jusqu’à les suivre dans un mouvement de caméra subjective de haute volée lorsqu’ils font des acrobaties à l’aide des barres destinées aux voyageurs ayant besoin de s’agripper à quelque chose pour rester debout.
Toujours à la recherche de sensations, Joe et Artie n’ont qu’une idée en tête, provoquer les autres. Pour cela, tous les moyens sont bons et ils ont vite fait de repérer les points faibles des voyageurs, montrant que, s’ils sont butés dans leur volonté agressive, ils sont loin d’être des crétins (alors même que, au-dessus de leurs têtes, une affichette annonce « Venez travailler avec les handicapés mentaux, la paye est bonne »).
Cette partie en huis clos est franchement éprouvante pour le spectateur, car si les passagers sont pris en otages par les deux voyous, le spectateur est pris en otage par le réalisateur qui s’arrange pour ne jamais le laisser respirer. Quand un passager est laissé de côté par le duo infernal, c’est pour s’en prendre à quelqu’un d’autre. Gratuitement, cela va sans dire.
Les questions qui se posent sont nombreuses. La première, assez évidente, est de savoir comment on réagirait à la place des passagers. Car, l’attitude de Joe et Artie est insupportable, insoutenable. Ils raisonnent et agissent toujours d’une manière absurde, provocatrice et violente, jouant sur le fait que chacun ne réagit qu’une fois personnellement agressé. Si Artie (Martin Sheen, pour sa première apparition à l’écran) se met d’abord en évidence, Joe n’est pas en reste. Quelle est la bonne attitude vis-à-vis de ces provocateurs que rien n’arrête ? Les événements montrent que l’indifférence (très agaçante pour le spectateur) n’empêche rien, bien au contraire, puisqu’elle incite les agresseurs à en rajouter dans la provocation. Le but ? Obtenir une réaction. La discussion n’apporte rien non plus, car Joe et Artie ont vite fait de mettre la situation à leur avantage avec une mauvaise foi imparable. Réagir en clamant son indignation, c’est le début de l’escalade voulue par les agresseurs. Jouer la compréhension et affirmer aux agresseurs qu’on les approuve, choix d’un jeune noir qui déteste les blancs et se réjouit donc d’en voir agressés, se retourne également contre lui. Il sort, avec sa femme, d’une manifestation pacifiste. Le film datant de 1967, on peut faire le rapprochement avec les slogans de Martin Luther King. L’homme est alors placé devant sa plus terrible contradiction, il hait les blancs et aimerait en découdre avec eux pour défendre son honneur. Or, il n’arrive pas à extérioriser sa violence.
Il est temps d’évoquer les rapports hommes/femmes. Ce dimanche soir est le moment propice pour que les rancœurs s’expriment, et elles sont nombreuses. Les thèmes sont un peu schématiques, mais éternels. L’argent, la position dans la société, l’ambition et la famille (avec les enfants et bien entendu les sentiments). Tout cela ressort dans la partie de présentation. Mais c’est tellement sous-jacent dans les comportements, dialogues, habillements et physiques que Joe et Artie s’en rendent comptent naturellement. Avec leur audace insolente, ils vont faire exploser ces relations figées.
Les femmes ? Elles veulent de la fermeté. Cela va dans le sens affiché par celles qui, aujourd’hui, affirment chercher un homme, un vrai. Qui se décidera finalement à faire le nécessaire pour empêcher les perturbateurs de nuire ?
Avec ce film, Larry Pearce (le réalisateur) laisse entendre que, face à ceux qui refusent toute raison, seul l’affrontement peut résoudre le conflit. Constat désabusé, car il sous-entend qu’une certaine dose de violence est inévitable, au moins pour la dissuasion. Cela rejoint le fameux « Struggle for life » cher à Darwin mais pose la question de ses limites. Le noir et blanc (avec un grain parfois bien visible) accentue l’effet donnant à ce film noir, un aspect quasi documentaire.