Peu de films, à part Les Damnés de Visconti, ont raconté avec autant d'acuité et d'audace l'avènement du nazisme, c'est à dire l'accession au pouvoir d'individus parfaitement médiocres convertis en criminels de masse. Karel Kopfrkingl, l'incinérateur de cadavres, est l'incarnation même de la banalité du mal théorisée par Hannah Arendt : un bourgeois sans histoire, propre sur lui, volontiers obséquieux qui, sous l'influence de son ami Reinke, fervent adorateur d'Hitler, va peu à peu glisser dans la folie meurtrière, pour finir par se trouver chargé de l'élaboration de fours crématoires. Là où Visconti s'intéressait à la propagation du nazisme au sein de l'aristocratie allemande dont elle précipita la chute, Juraj Herz réduit considérablement l'échelle pour se placer au niveau d'une conscience. De bout en bout, nous sommes prisonnier.es du point de vue de Kopfrkingl et assistons impuissant.es à la lente contamination de son esprit par l'idéologie fasciste. Les fantasmes inconséquents soulagés une fois par mois au bordel, les pulsions morbides, l'excès de zèle, les délires de grandeur gagnent en puissance au fil du récit avant de tourner à l'obsession. Le film est très riche, plein de symboles et d'expérimentations visuelles, et n'est pas sans évoquer l'univers cauchemardesque de Kafka avec lequel il partage, en plus de la nationalité, un certain goût pour l'absurde voire le grotesque, mais surtout la vision très noire d'une humanité irrémédiablement vouée à l'abjection.