L'été, un lac dans le sud de la France. Des hommes garent leurs voitures, marchent jusqu'à une petite plage, se reluquent, se parlent et parfois d'un commun accord vont se cacher à moitié sous les branches et dans les herbes hautes pour s'attraper.
Comme hier et comme demain. C'est donc une chorégraphie qui se met en place, jour après jour, un théâtre estival loin des regards familiaux qui sont de l'autre côté. C'est un ballet qui peut gêner au départ, comme peut-être gêné le nouveau venu, mais auquel on s'habitue grâce à la précision parfois mêlé d'humour pour en révéler les rouages, les tenants et les aboutissants, les pratiques et les tabous. Car c'est cela que nous montre avant tout Guiraudie, la litanie de ce lieu de drague, avec ces codes et ces personnages, ces solitudes terriblement humaines réveillées par ce désir charnel souvent sans lendemain. 'L'inconnu du lac' est multiple, chacun est un inconnu, il y a bien des prénoms qui s'échangent parfois, pour les amis un apéro ou un dîner et pour les amants des fluides qui s'éteignent une fois la nuit tombée.
Il y a aussi la solitude de ce bout de lac qui impose sa litanie lui-aussi, entre le jour et la nuit, les nuages qui passent, le clapotis de l'eau guère troublé par un bateau qui passe. Ce lac donc, personnage à part entière qui cache son mythe partagé entre toutes ses rives, la présence paraît-il d'un silure de 5 mètres. C'est bien là le seul trait d'union. On imagine bien le mythe du lieu de drague vue de l'autre côté de la rive mais Guiraudie nous montre que de celui-ci découle au final une mécanique sociale banale et assez triste en définitive. Baiser n'est pas forcément synonyme de bonheur, cela comble tout juste l'ennui et occupe les longues après-midis des vacances.
Au milieu de ce tableau, Guiraudie introduit une intrigue criminelle. Michel, bel homme au regard de glace, est aperçu par Franck en train de noyer son amant. Un enquêteur fait irruption pour démêler l'intrigue mais aussi pour jeter un regard extérieur sur les moeurs de ce lieu. Il dévoile la solitude de ces êtres, l'aridité des sentiments et trouble le jeu de cette plage dont le meurtre paraît, à peine quelques heures après la découverte du corps, aussi légendaire que la présence du monstrueux poisson. Il y avait déjà Henri, magnifiquement campé par Patrick d'Assumçao, qui était en marge de la marge, habillé, bedonnant, sage, revenu d'une autre vie et qui apprend (enfin) la bienveillance, tout en la transmettant. La raison plutôt que la passion, Henri détourne l'esprit même du lieu de drague, difficilement définissable par ceux qui s'y risquent et dont Michel s'avère être en fin de compte le protecteur d'une pureté originelle, d'une orthodoxie qui défend avant tout la stricte liberté des corps.
Mais revenons sur le côté policier du film, partie où Guiraudie se prend les pieds dans les racines de son bois. L'enjeu est maigre et le suspense patine jusqu'à un final accéléré qui manque à la fois de finesse dans l'écriture et le montage. Il faut dire aussi que l'on commence un peu à etouffer dans cet espace circonscrit. De la même manière que Michel dit qu'il faut se séparer pour avoir le bonheur de se retrouver, il aurait fallu respirer un peu en dehors de cette poignée d'hectares pour avoir le bonheur de retrouver cette rive du lac.
'L'inconnu du lac' reste un film maîtrisé, qui respecte ses personnages et qui, au final, n'est pas un film sur l'homosexualité, celle-ci devenant bien vite un thème secondaire.