Derrière sa rigueur scénique (les mêmes scènes et situations répétées presque à l'identique, jeu en retenue), scénaristique (le film se concentre sur un lieu unique et à un moment unique de la journée et tait en ellipse tout le reste) et esthétique (caméra fixe, plans séquences,...), et son économie de moyen (qui prouve que peu de moyen n'est pas gageure de ratage), Alain Guiraudie cache habilement un malicieux et troublant thriller psychologique sur fond de passion sexuelle sulfureuse et de subversion.
L'immense réussite est de ne pas laisser la sexualité omniprésente à son stade provocateur (même si elle l'est évidemment, Guiraudie se tournant volontairement vers ce milieu marginal ; d'où sa surprise et son malaise lors du succès du film aux Césars la même année) mais de l'inscrire habilement dans un scénario qui la justifie amplement. Emporté dans la passion soudaine pour ce baraqué moustachu, notre héros, superbe Pierre Deladonchamps, en vient à tout oublier. Comme toujours chez Guiraudie la frontière entre rêve et réalité est poreuse ; le tueur en est-il vraiment un ? Ce qui semblait répondre à un oui évident, vu par les yeux de tous les spectateurs et du protagoniste, devient douteux et disparaît soudain dans des étreintes habitées qui recouvrent tout. Et le final, chasse à l'homme dans la nature et la nuit, hypnotique, angoissante et profondément envoûtante aura bien fait de clore cet excellent film, déroutant et puissant, où se jouait de nous un scénario habile et jongleur (entre romance, amitié - le génial Patrick d'Assumçao, touchant comme tout -, burlesque - l'hilarant mais déstabilisant enquêteur de la police - et érotisme - l'animal et fuyant Christophe Paou -).