Tu ne te confieras pas à un inconnu

Le scénario du film de Hitchcock est tiré du fameux roman éponyme de Patricia Highsmith. Disons tout de suite que l'idée de base du roman (l'échange des crimes) est bien entendu respectée. Par contre, le film diffère notablement du roman qui est beaucoup plus psychologique, plus lourd en termes de harcèlement et de sentiment de culpabilité. Il est par conséquent plus noir. D'ailleurs, je ne suis pas sûr d'avoir envie de le relire.

Le scénario est de Chandler, écrivain bien connu pour ses romans de série noire qui mettent en scène le détective privé Philip Marlowe. Donc, une pointure et une référence pour établir un scénario de qualité. Même si mon petit doigt me dit que Chandler n'a peut-être pas complètement la paternité du scénario. On va simplifier et considérer que c'est Chandler… D'abord parce que ça me fait plaisir.

Et en effet, le scénario est épuré de bien des personnages secondaires du roman et est, finalement, plus manichéen. Plus lisible. Redoutablement efficace en matière de suspense car le spectateur prend fait et cause pour Guy, le "gentil" face à Bruno, le "vilain".

La mise en scène de Hitchcok est à la hauteur de nos attentes. D'abord avec le tempo qui ne cesse de s'accélérer jusqu'à la scène du manège devenu fou. Cette accélération du temps est d'ailleurs quelque chose de caractéristique dans ce film qui mériterait, à elle seule, une analyse fouillée. Entre la scène initiale dans le train, très lente ou ce match de tennis que Guy prévoit de gagner en 3 sets et qui finit par durer, dramatiquement, un set de plus malgré l'urgence absolue et les efforts désespérés de Guy.

D'ailleurs du suspense, il y en a à tous les étages et pour chacun des protagonistes, pratiquement à tout moment. La visite nocturne de Guy au père de Bruno où le spectateur est dans l'expectative. Il ne sait pas ce qui va se passer et craint le pire. Mais la visite est menacée par un chien genre molosse pas très accueillant pour terminer en surprise qui relance à nouveau le suspense… La scène où Bruno laisse tomber son briquet dans la bouche d'égout. Le spectateur est presque soulagé par cette maladresse mais non, il faut encore que Hitchcock en rajoute une couche dans l'opération de récupération à travers la bouche d'égout. Pour cette dernière scène, après réflexion, le spectateur tremble inutilement puisqu'en général, les grilles des bouches d'égout sont démontables facilement avec un objet qui fait levier, si pas à la main … mais c'est là que j'entrevois le vrai talent de Hitchcock qui nous fait trembler sur des difficultés qui n'en sont pas … De la manipulation, vous dites ? D'autant plus que c'est du foutage de gueule puisque le personnage qui récupère son briquet se retrouve en avance sur le temps (qui est en cours d'accélération). Mais ça, c'est après qu'on y pense. Somptueux.

J'en viens d'ailleurs à une autre composante importante de ce film, c'est l'aspect comique de certaines situations ou de certains personnages qui font régulièrement retomber la pression. Par exemple le personnage de Barbara qui est passionnée par les enquêtes policières et qui s'amuse (gentiment) des problèmes de Guy. Pour la bonne bouche, c'est Patricia Hitchcock, la propre fille du Maître qui tient le rôle … Ou encore, la mère de Bruno, gentille follette dont je ne sais pas si au fond elle fait rire ou fait peur… Ou encore le gamin hilare sur le cheval du manège fou ... Et en plus, ... Sans oublier que ...

Pour compléter le casting, les acteurs ne sont relativement pas connus (de moi en tous cas) puisque les rôles de Guy, Bruno et Anne sont joués par Farley Granger, Bruno Walker et Ruth Roman. Mais j'ai trouvé leur jeu très bon et surtout convaincant.

En conclusion, film redoutablement efficace au suspense haletant.

NB : Le DVD que je possède présente une version dite britannique alternative (découverte par hasard) qui modifie très peu les scènes pour ce que j'en ai vu. J'ai juste remarqué que la toute dernière scène de la version hollywoodienne qui renvoie au début du film a été supprimée. Ce que je trouve dommage car elle permet une baisse de la pression avec un élément final comique.