Qui ne connaît pas, de près ou de loin, le Palais Idéal du Facteur Cheval, sur la commune d’Hauterives, un nom qui, à lui seul, aspire vers l’idéal ? Mais qui connaît l’histoire de son constructeur ? Une histoire dont se saisit, pour son troisième long-métrage de fiction, le réalisateur Nils Tavernier, et dont celui-ci ne craint pas de revendiquer le caractère « romantique ».


Pour porter ce romantisme, Jacques Gamblin, saisissant. Il adopte, pour incarner l’original qu’était le Facteur Cheval, la raideur ardente et la détermination irréductible de Benjamin Lavernhe dans « Le Goût des Merveilles » (2015), d’Eric Besnard. D’ailleurs, cet arpenteur infatigable n’était-il qu’original ? À l’heure des étiquetages psychologisants ou psychiatrisants - où le moindre enfant éveillé est classé « précoce », litote pour « surdoué », ou l’agité « hyperactif » -,
n’aurait-il pas eu droit à l’épingle « autiste »...?! Qu’importe ! Cet amoureux des pierres, craignant la fréquentation des hommes - moins celle des femmes, visiblement, puisque les enfants ne tardent pas à prendre tournure dans le ventre de ses deux épouses successives - et inquiétant même certains des administrés postaux, n’en sera pas moins un architecte et bâtisseur de génie, dépourvu de toute formation autre que celle du pétrissage du pain, et répondant laconiquement aux étonnements admiratifs de ses premiers visiteurs, le questionnant sur la source de telle ou telle technique architecturale nouvelle : « Ben... j’ai réfléchi ! ». Après un immense travail de documentation et de recherches lors de son approche, Jacques Gamblin s’est laissé investir par le personnage, jusqu’à être bouleversé par lui, ce qui lui permet de lui redonner véritablement vie d’une manière incroyablement intense, jusqu’au moindre frémissement de sa moustache - non postiche !


À ses côtés, une Lætitia Casta mûrie, en Madame Cheval ayant su apprivoiser et comprendre son silencieux mari, et le défendre contre toutes les « vipères » du village, pour reprendre ses termes. Un lien profond, dans lequel l’amour se mêlera, après une phase d’effroi, à une indéfectible admiration se muant en fierté. Une alliée qui lui donnera une fille, Alice, incarnée avec sensibilité par la charmante Zélie Rixhon, et pour laquelle son père, conquis, aura l’idée d’entreprendre son palais merveilleux.


Comme dans « Le Goût des Merveilles », les paysages de la Drôme, somptueux, achèvent d’enchanter le film. Le directeur de la photographie, Vincent Gallot, souligne ici leur minéralité lumineuse et la puissance de la nature, préparant ainsi tout naturellement les paroles du Facteur, lorsque celui-ci s’affirmera inspiré par « le vent, les oiseaux et les branchages ». Les scènes d’intérieur ne sont pas en reste, par leurs fonds soignés et le placement des personnages, qui évoquent bien des tableaux du XIXème, de Fantin-Latour à Munch, en passant par Courbet, pour les attroupements, ou Corot, pour la gamme chromatique.


La musique, enfin. On a pu lui reprocher une présence trop constante. Mais les frères Colleu, Baptiste et Pierre, ont composé une bande délicate, qui ne dédaigne pas, lorsque le projet approche de son aboutissement, quelques envolées vers l’extase, mais qui, auparavant, se substitue assez élégamment au mutisme du personnage principal. Nils Tavernier aurait pu concevoir de longs plans silencieux, dans lesquels toute la densité du génie serait restée concentrée, comme dans le superbe « Séraphine » (2008), de Martin Provost ; mais le public visé n’aurait alors pas été le même, et l’on se serait pris à regretter que ce biopic passionné, sur une figure qui, bien que socialement humble, aurait pu proclamer, comme le héros hugolien, « Je suis une force qui va... », n’atteigne pas un public aussi ample que son inspiration, dont il affirmait qu’elle puisait « aux sources de la vie ».

AnneSchneider
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le 5 janv. 2019

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Anne Schneider

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