1961, guerre d'Algérie, l'OAS essaie de conserver le pays sous la coupe de la France. Après avoir combattu dans la Légion étrangère française, Thomas Vlassenroot (luxembourgeois) déserte. Il se terre à Alger, où son lieutenant le retrouve et lui propose de participer à l'enlèvement d'une avocate (envoyée de Lyon pour défendre deux terroristes). Dans la première partie du métrage, le fil conducteur est cette mission ; dans la seconde, c'est une échappée tragique, par la romance et la fuite impossible : pour Thomas le repos en France n'est pas possible. Cavalier dit à ce sujet : « On ne fait pas une guerre coloniale sans en mourir, sans en être complètement pourri ». La séance s'achève sur l'image dont les Smiths ont fait leur pochette pour l'album The Queen is Dead (1986).
Au travers de ce personnage incarné par Delon (aussi producteur), il file la métaphore d'un pays qui s'est sali, usé, a perdu la tête et ses repères ; se sent illégitime malgré son apparence assertive – et cherche sa retraite. Thomas apparaît comme un individu antipathique, replié, qui n'a plus rien à donner au monde, ni même à lui prendre ; il n'y est plus que par la biologie et le fait de vivre quelque part. Avec quelques résidus de morale et de romantisme. Pour la société et ses factions même dissidentes, il aura la fonction de vigile au mieux, puisqu'il faut bien s'assurer des rentes. Désillusionné avant de s'engager sur le front, il fait désormais sa part sans rien demander de plus, sans rien vouloir au-delà de lui-même : après moi le déluge et aux autres les commandes si ça leur chante, tant qu'ils ne sont pas sur mes plates-bandes.
Son idylle dans la seconde partie ramène le film sur un terrain plus limpide et traditionnel ; Cavalier souscrit aux évidences par nécessité sans doute de se trouver irréprochable en cochant aussi quelques cases académiques ; comme un novice volontaire, probablement orgueilleux, mais se sentant obligé de se conformer à quelques endroits malgré tout. Ces prudences lui profitent, c'est d'ailleurs la fonction noble des contraintes aux artistes que de repousser leur élan brut et mettre de l'ordre ; par la suite Cavalier s'affranchira, pour aller vers sa propre radicalité. Dans tous les cas il reste rigoureux : dans L'Insoumis les ressources humaines sont à la hauteur, avec Claude Renoir pour la photo et Delerue pour la musique.
Sa bande-son est emprunte d'une mélancolie tranquille, par endroits plus franchement sombre. L'auteur du theme d'Hiroshima et du Mépris souligne l'indécision et l'égarement anxieux de Delon/Vlassenroot. Le film dans l'ensemble tend au contemplatif, aligné sur l'esprit masculin que sonde la mise en scène, épurée mais emphatique à cette fin. Cavalier filme toujours le mouvement, y compris aberrant (Le plein de super) ou vers le néant (le dépressif Ce répondeur ne prend pas de messages) : L'Insoumis est bien un film d'action, le véhicule est les états d'âmes, la petite musique souterraine, incommunicable (pour Thomas communiquer, se relier, ne vaut pas le coup) mais directrice. Une séance magnétique, poétique et d'une froideur extrême, résolue comme le sont les blasés de la terre.
Après Le combat dans l'île, L'Insoumis forme un diptyque sur la guerre d'Algérie, marquant les premiers pas de cinéaste d'Alain Cavalier. Ces deux oeuvres politisées connaissent des démêlées avec la censure étatique ; puis des échecs commerciaux, particulièrement pour L'Insoumis, malgré les 'stars' à l'affiche (Schneider et Trintignant dans Le combat, Delon dans L'insoumis). Ce dernier est en plus l'objet d'une plainte concernant Dominique Servet, l'avocate ; le film paie fort son label 'based on a true story' (il est alors mutilé de 25min). Par la suite, l'auteur livre deux films se voulant conventionnels ; mais Cavalier aligné est à l'étroit. Il se dirige très vite vers un cinéma très personnel, de plus en plus expérimental, en retrouvant l'énergie avec Le Plein de super puis Martin et Léa, pour s'envoler à partir de Thérèse.
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