Guerre d’Algérie. 1959. Thomas Vlassenroot participe aux combats avec la Légion Étrangère. Il décide de déserter et de rejoindre Alger où il retrouve son ancien lieutenant, qui lui propose de kidnapper une avocate française venue défendre des militants indépendantistes. Après l’échec en 1961 du putsch des généraux fomenté par une partie des militaires de l'armée française, Thomas accepte d’effectuer cet enlèvement, par intérêt financier plus que par militantisme. Face à ce geôlier ténébreux se dresse une avocate engagée contre ces mêmes barbaries et humiliations. Les opposés s’attirent.
La photographie de Claude Renoir capture chaque trait de Delon et de son personnage tout en contradictions, tiraillé entre liberté et devoir, raison et passion, pitié et amour. Figure personnifiée de la France colonialiste, puis se dirigeant fatalement vers une volonté d’indépendance, Thomas se soustrait une nouvelle fois à sa tâche en aidant la prisonnière à s’échapper. Quelques années plus tôt, Boris Vian avait écrit par ailleurs : « On m'a volé ma femme On m'a volé mon âme Et tout mon cher passé Demain de bon matin Je fermerai ma porte Au nez des années mortes J'irai sur les chemins » dans la chanson Le Déserteur. Loin d’être méprisable, Thomas agit par instinct, comme pour s’éloigner de tout ce chaos, idée renforcée par une approche intériorisée et intimiste de la psychologie du personnage. Traître et fugitif, le jeune luxembourgeois blessé tente alors de rallier son foyer. Il s’arrête à Lyon.
Sujet épineux pour l’époque, le film d’Alain Cavalier fût un des rares à se pencher sur ce qu’on appelait alors « les évènements ». Censuré lors de sa sortie, la guerre d'Algérie étant encore dans toutes les têtes, puis amputé d’une vingtaine de minutes, l’Insoumis trace le parcours atypique d’une fuite-en-avant, anticonformiste, sombre et rêveuse. Le destin de ce déserteur s’égrène à chacun de ses choix non pas marqués par de fortes convictions ou un engagement d'activiste, plutôt par des intuitions, des regrets, des doutes : il est cet électron ballotté dans la masse d’un contexte historique qui le dépasse. Il est l'allégorie d’un pays qui ne peut faire marche arrière. Cette quête ponctuée de solitude et de fragilité le ramène à l’essentiel : la volonté de rentrer chez lui. Le jeu d’Alain Delon donne toute l’épaisseur, la profondeur à ce personnage, par un magnétisme, une irrévérence, une nonchalance, une gravité extraordinaires.
Thomas retrouve l'avocate Maître Servet à Lyon. Les deux amants s’aimantent. Elle l’aidera, avec son mari, à rentrer chez lui au Luxembourg, où, dans cette dernière scène il passe la barrière de la ferme au milieu d’un champ verdoyant et fleuri, exempt des atrocités, inaltéré. Cette scène, presque mythologique, mystifie Delon en Ulysse de retour à Ithaque après un périple infernal. Blessé au corps et meurtri à l’âme, il rejoint sa petite fille dans la cuisine. Cette dernière ne le reconnait pas et s’enfuit, dans une scène poignante d’une intensité dramatique absolument inouïe. L’homme s’allonge à terre, comme sonné par la mort, par l’amour, par la vie.