Murnau m'avait déjà bouleversé avec L'Aurore. Et rebelote avec ce City Girl vraiment sublime du début jusqu'à la fin. Une nouvelle fois on assiste à une véritable merveille visuelle qui nous propose d'éclatants moments de poésie. La photographie n'est pas étrangère à cette splendeur grâce à son noir et blanc lumineux, et la réalisation de Murnau est juste formidable. La séquence de l'arrivée des amants à la ferme est sidérante de beauté. Non seulement parce que c'est bien filmé mais surtout parce que le cinéaste a ce talent de capter le bonheur, de capter des émotions sincères et de saisir le vrai (donc le beau). On résume souvent le film à cette seule scène d'ailleurs, ce qui est compréhensible mais il ne faut pas non plus sous-estimer le reste qui reste vraiment magnifique. D'ailleurs je pense que si le film était parlant, il n'aurait pas eu le même impact. Le couple Farrell/Duncan est juste génial, tout comme il l'était dans La Femme au Corbeau dont j'espère toujours que les bobines manquantes seront retrouvées un beau jour. D'ailleurs j'ai tendance à préférer Mary Duncan à Janet Gaynor, je la trouve beaucoup plus "femme", avec un charisme magnétique. On ressent dans City Girl une véritable alchimie entre les deux personnages, on croit à leur romance qui prend d'ailleurs le temps de naître (même si dans les films de l'époque les gens ont tendance à vouloir se marier très vite).
On constate aussi que le film est sorti durant un contexte économique qui était (ou allait bientôt être) très rude. La crise du blé vient perturber les finances des agriculteurs, créant ainsi un climat de tension dans les campagnes américaines. City Girl arbore une dimension sociale beaucoup plus prononcée que dans les autres Murnau que j'ai pu voir avec l'opposition ville/campagne en premier plan dans une Amérique qui n'est plus idéalisée. Et j'ai été touché par cette histoire d'amour contrariée par le contexte extérieur, contrariée par un beau-père bourru qui déversera sa haine sur cette "opportuniste" venue de la ville. Le film se base sur un schéma manichéen qui fonctionne, bien que je le trouve un peu simpliste, seule chose que je reproche au film d'ailleurs. Car dedans le portrait des campagnards est peu flatteur même si Murnau ne délaisse jamais toute la beauté qui peut caractériser l'humain. Et c'est d'ailleurs pour ça que le film m'a ému, parce qu'on a deux personnages purs et sincèrement amoureux l'un de l'autre qui vont tenter de faire survivre leur amour malgré toutes ces oppositions.
En définitive, nous avons là un grand film plein de poésie et de sensibilité qui ne fait on plus l'impasse sur des scènes plus dures voire impitoyables, ce qui donne de la force au récit. City Girl est une nouvelle fois la preuve qu'une histoire d'amour dans le cinéma muet peut encore toucher et émerveiller. Ce film a 86 ans quand on y repense, c'est fou de voir à quel point il fonctionne encore aujourd'hui, signe de son épatante modernité et de l'énorme talent de Murnau. Je suis d'ailleurs certain que pas mal de cinéastes (dont un certain Malick) y ont vu une source d'inspiration. Vraiment un très beau film, je suis sous le charme.