L'invaincu aurait pu cocher toutes les cases du mélodrame misérabiliste, s'il n'y avait cette énergie des personnages à refuser leur destin. La mère d'abord, figure formidable du film, et bien sûr Apu, le garçon qui avait soif d'apprendre. Dans un sourire fugace et secret, la mère révèle, lorsqu'un ami du père vante son thé sans savoir qu'elle l'entend, sa joie de vivre intacte. Apu grandit, les épreuves s'accumulent, et pourtant il garde sa soif de savoir. S'il pleure, c'est de chagrin, mais pas tellement d'amertume. Ouvert sur le monde, il quittera la campagne traditionnaliste pour la ville moderne, rompant avec le souhait de ses parents.
Les trains qu'il voyait enfant, et qui le faisaient tant rêver, maintenant Apu est dedans, et s'ils lui rappellent encore sa sœur disparue, ils ne représentent plus le rêve d'un ailleurs inaccessible, mais au contraire sont le vecteur matériel qui lui permettra de vivre ses rêves. Pour autant, ils sont toujours le signe de la modernité qui déferle sur l'Inde. Simplement, cette fois-ci, grâce à une bonne école et un directeur qui croit en lui, Apu en fait partie.
En montrant cette force qui pousse le personnage d'Apu, Satyajit Ray s'aliène une partie du public. Dans une Inde où le respect des ancêtres est une valeur absolue, le fait qu'Apu délaisse sa mère pour ses études est presque provocateur! Satyajit Ray fait ainsi coexister, tout simplement, les valeurs de l'occident et celles de sa patrie.
Tout cela a l'air simple d'une évidence, et pourtant c'est tellement beau, c'est à la fois triste, touchant, optimiste, lumineux. Bref, en un mot : bouleversant.
Le film se clôt sur un départ, comme La complainte du sentier, mais c'est un potentiel nouveau départ nous montrant cet invaincu, Apu qui continue sa vie envers et contre tout.