Les fables mélodramatiques furent légion à l’ère du muet. On peut se rappeler du Lys Brisé (1919) et d’A travers l’orage (1920) de D.W. Griffith, ou de L’Aurore (1927) de Murnau, mais aussi du Lucky Star de Frank Borzage, intitulé, dans sa version française, « L’Isolé ». Il faut le dire, le muet se prêtait tout particulièrement à ce genre d’exercice, et Lucky Star demeure un des films les plus salués en la matière.
L’atmosphère du film est tout à fait particulière, avec une esthétique et des jeux de lumière presque expressionnistes, appuyant les contrastes et donnant un style très magique au film. Les premiers décors, où se déroulent d’ailleurs la grande majorité du film, situés dans une campagne lointaine, paraissent presque issus d’un film fantastique et semblent hors du temps. C’est, au demeurant, quelque chose de tout à fait logique compte tenu du fait que le film s’articule sur les principes d’une fable, mais la démarche fonctionne parfaitement, à l’image de L’Aurore de Murnau, qui mettait d’ailleurs déjà Janet Gaynor face à la caméra.
L’occasion, par ailleurs, de s’intéresser au jeu des acteurs, notamment du duo principal, qui constitue une des grandes forces de Lucky Star. L’association entre Charles Farrell et Janet Gaynor marche presque immédiatement, créant une véritable alchimie qui donne encore plus de beauté au film. Les deux acteurs semblent se connaître depuis toujours, ce qui s’explique notamment par le fait qu’ils ont tourné dans une dizaine de films ensemble, dont L’Heure Suprême et L’Ange de la Rue également réalisés par Frank Borzage, en 1927 et en 1928 respectivement. Toujours est-il que cette alchimie est au cœur de la magie de Lucky Star, laissant la possibilité aux acteurs de jouer d’une manière tout à fait naturelle et spontanée, et avec beaucoup de nuances.
Bien que, comme dit précédemment, l’esthétique de Lucky Star semble présenter des influences expressionnistes par moment, il s’inscrit bien dans la lignée des grands mélodrames américains de l’époque. Traitant de sujet de la guerre comme un facteur d’aliénation, il réunit deux êtres isolés qui se retrouvent dans cette solitude, se complètent et se comprennent pour aller de l’avant. Une nouvelle manière de faire de la poésie dans un contexte dramatique.
Lucky Star est une de ces belles fables d’antan, qui a bien failli nous parvenir dans une version parlante, et dont on remercie le destin de n’avoir survécu que dans sa version muette. Les regards, les images et l’histoire se suffisent à eux-même pour construire ce beau moment de cinéma dont la magie ne fait qu’opérer encore plus par l’absence de dialogues. Encore une fois, le cinéma muet parvient à communiquer à travers les âges, à faire de la magie et à nous transporter dans cette belle histoire pleine d’espoir et de poésie.