Où l'on apprend que s'appeler Piscine peut aider à survivre en mer.
Sublime. S'il ne fallait qu'un mot ce serait celui-ci. Sublime aussi bien au niveau de l'image (des plans magnifiques, surréels, des couleurs incroyables, des lumières somptueuses, le tigre virtuel impressionnant de réalisme) que du scénario (cette fresque s'étendant au final sur presque toute la vie de Pi, comme son titre original (Life of Pi) le souligne mieux que sa version française se focalisant sur le naufrage et la dérive s'en suivant)
Ang Lee nous avait déjà habitué à mélanger gaiement réalisme et onirisme, à sublimer la réalité de manière visible mais pas ostensible et il le prouve à nouveau dans L'Odysée de Pi: tous ces plans sont trop beaux pour être vrais, mais après tout n'est-ce pas normal étant donné que l'on est spectateur d'un récit conté par son protagoniste? Ce que l'on voit à l'image est le reflet de ce qu'il raconte à cet auteur Canadien en panne d'inspiration. Peut-être que ce récit est enjolivé par rapport à sa réalité (probablement même puisque cette hypothèse est évoquée dans le film.) De même le film enjolive tout ce qu'il touche: la mer (entre autres, mais c'est elle l'élément central) y est aussi sublime quand elle est agitée, violente, mortelle, que quand elle est aussi lisse, calme et réfléchissante qu'un miroir.
Bref, avec ce parti-pris assumé jusqu'au bout de vouloir rendre chaque image esthétique dans sa construction et dans ses détails, faire de chaque plan un tableau animé, Ang Lee parvient à entraîner le spectateur dans cette odysée onirique, dans cette plongée artistique dans un drame poignant mais sublime. Sans jamais tomber dans l'outrance, l'esbrouffe ou l'exercice de style. Ce film, de A à Z, est sincère, et on sent que jamais Ang Lee ne tombe dans l'esthétisme esthétisant et qu'il s'implique autant qu'il veut impliquer le spectateur dans son récit.
Et parlons-en de ce récit: une fresque incroyable, à commencer par son protagoniste qui s'avère être hindou-chrétien-musulman. Oui. En plus de porter le doux nom de Piscine Molitor. Si, si. Le décor est planté lors d'une intro qui a la sagesse de prendre son temps pour nous présenter les lieux, les personnages, les animaux, afin que la disparition de tout cet univers nous pèse autant qu'à Pi. Car on vit ce film avec Pi de bout en bout: on rit quand il rit, on a peur quand il a peur (chaque séquence où il rejoint le canot dans lequel le tigre a élu domicile nous fait serrer l'accoudoir ou le bras du voisin dans l'angoisse d'un surgissement soudain du félin) et on partage son extase et son soulagement quand la situation semble s'améliorer.
J'allais presque en oublier de mentionner un relief à couper le souffle, un relief vraiment immersif comme on en a très rarement vu depuis Avatar (mis à part Le Hobbit récemment) un relief où l'on sent vraiment la profondeur mais qui parvient, comme tout bon relief se le doit, à se faire oublier. Un relief qui ose même de très légers effets sortants, enfin, car, après tout, pourquoi se priver de la moitié du potentiel de ce procédé, sous prétexte que le relief sortant est soi-disant gadget? Il suffit de l'utiliser à bon escient.
Je n'ai pas besoin d'en dire plus, je n'en ai pas envie non plus, ayant déjà l'impression d'en avoir trop dit à ceux qui n'ont pas encore vu ce chef d'oeuvre, je vous laisse découvrir ce film, je vous laisse être bercés par sa magie, et je vous laisse être touché par ce garçon au nom ridicule mais incroyablement incarné par la révélation Suraj Sharma.