L'Œil du Monocle par Alligator
Malheureusement, je n'ai pas encore mis la main sur "Le monocle noir", je me contente pour le moment de cette suite et du dernier opus de la trilogie, "Le monocle rit jaune".
Cela faisait très longtemps que je n'avais pas vu ces films. Persistaient quelques souvenirs, par bribes : les ruelles sombres de Bonifacio, la rusticité de Robert Dalban, les flots argentés des criques méditerranéennes et bien entendu l'incongruité gymnastique de Paul Meurisse.
J'avais un peu oublié le goût des mots, poésie à la fois lyrique et empesée, en décalage parodique avec le propos barbouzeux du film.
Bizarrement j'avais oublié la prestation désabusée, un peu chafouine d'un Maurice Biraud des grands soirs, déprimé et braillard.
L'étrange beauté fragile de Gaia Germani, marielaforstiere, mais sans le mordant que promet cette dentition pour le moins singulière, n'est pas pour déplaire au colonel Dromard.
Personnellement, j'aurais plus d'attirance pour la liberté sexuelle revendiquée de Elga Andersen, son éclat nordique qui illumine le film par petits bouts.
J'ai aimé l'amour du travail bien fait de Georges Lautner, ses petites idées toutes bêtes pour filmer ses scènes avec variété de cadrages, de mouvements et un montage souvent nerveux et dynamique. Ah, un petit bémol : si j'écris "souvent", c'est qu'il ne l'est pas systématiquement. Le jeune Georges Lautner n'est peut-être pas toujours heureux avec son montage. Dans son enthousiasme à filmer, il a sans doute encore trop tendance à garder des secondes de trop. 1h44, c'est excessif pour cette histoire. Certaines séquences auraient gagné en verdeur avec quelques secondes de moins.
Mais l'essentiel n'est pas là. Malgré l'absence de Michel Audiard, les dialogues sont parfois presque aussi savoureux. Peut-être pas aussi percutants que chez Les tontons plus tard. Du reste, le scénario alambiqué est relevé par une louable impertinence. Le colonel Rémy, Jacques Robert et Georges Lautner mettent parfaitement à contribution une certaine littérature empreinte d'idéalisme national, un patriotisme qui peut paraître ampoulé et donc susceptible de faire sourire dans la bouche de personnages aussi farfelus. Le film d'espionnage prend un vilain coup aux gonades. C'est plaisant. J'avais le souvenir de quelque chose d'encore plus affriolant, mais la tonalité est là, sous ses airs racoleurs, elle distille un petit venin d'effronterie. On ne rit pas franchement, mais l'esprit léger et roublard fait au minimum sourire. Il faudra attendre Audiard pour s'esclaffer réellement.
D'autre part, les acteurs sont plutôt bons.
Paul Meurisse est un physique. J'ai cru comprendre que sur le premier film, il avait eu envie de dynamiter son rôle trop sérieux en mettant l'accent justement sur son aspect physique, sa démarche guindée devient alors extrêmement rigide et le personnage se transforme en une espèce d'être étrange, incongru, un lutin bondissant, tournant sur lui même, un zébulon flingueur répondant à une logique martiale. Le colonel Dromard reste un militaire attaché au seul intérêt national, mais se pique parfois de poésie et l'attirance pour la gente féminine ne se démord jamais. Quand le plaisir ne se fait pas prier pour roucouler. Il a de quoi faire avec les deux comédiennes principales. Au final, Paul Meurisse tient une place prépondérante dans l'atout charme du film. Sa voix très grave, sa diction impeccable dans un ton sépulcral en font un comédien hors du commun, qui retient d'abord l'attention, qui peu à peu finit par être attachant, représentant un esprit loufoque, malin, à la fois arriéré et élégant, une France révolue également.