Le nez d'Alicia Vikander est à ma culture cinéphile ce que celui de Cléopâtre est à la face du monde : eut-il été différent que rien ne serait pareil. En tout cas, je n'aurais plus que probablement pas regardé cet Oiseau-Tempête signé Wash Westmoreland, dans lequel la belle Suédoise campe une jeune femme accusée du meurtre d'une amie occidentale dans le Japon de la fin des années 80 - début 90. Serais-je perdant au change ? Hélas, pas tellement...
Pourtant, à l'issue des dix-quinze premières minutes, je ne regrettais pas ma curiosité, me disant même qu'il y avait là tous les éléments d'un thriller intelligent et intéressant : une héroïne traductrice et pleinement immergée dans la culture nippone (chapeau à Vikander, plus de la moitié de ses dialogues sont en japonais) entichée d'un photographe japonais ténébreux mais incapable de former un couple stable avec lui, une Américaine un peu vulgaire qui essaie à peine de s'intégrer mais vient s'immiscer dans leur relation, une exploration de régions côtières méconnues de l'archipel et des traditions locales, très joliment photographiée par Chung-hoon Cung (DP habituel de Park Chan Woo) et mise en musique par les frères Ross et Claudia Sarne.
Allait-on assister à un savant mélange de Lost in Translation et Fatal Attraction ? Non point, car à force de mélanger sans arrêt ces deux approches, Wash Westmoreland échoue à créer une véritable ligne directrice à son film, accouchant au lieu de cela d'un gloubigoulba assez prévisible et peu trépidant. Personnellement, je me suis vite rendu compte que c'était le mot thriller qui était de trop dans la description du film. Ce dernière est d'ailleurs une adaptation d'un roman de Susanna Jones, que je n'ai pas lu, aussi ne puis-je m'exprimer sur sa fidélité. Mais c'est vraiment lorsqu'il se penche sur l'aspect culturel du tourment de Lucie Fly (le personnage de Vikander) que L'Oiseau-Tempête suscite le plus d'intérêt. Malheureusement, ce n'est que trop sporadique et inconstant.
Le reste du temps, nous avons donc droit à un thriller psychologique de facture somme toute assez classique, lorgnant pas mal du côté du Roman Polanski des années 60 avec ses notions de relation abusive, de schizophrénie et de paranoïa, mais en bien plus décousu et maladroit. À force de ne pas savoir sur quel pied danser, Westmoreland finit par nous perdre en cours de route. C'est surtout l'absence de colonne vertébrale qui est préjudiciable à son film : la relation amoureuse mais ambiguë entre Lucie et Teiji, le beau photographe ténébreux, devrait non seulement faire tout le seul de l'intrigue, mais aussi mettre en lumière le fameux fossé culturel entre l'Occident et le Japon, que Sofia Coppola avait utilisé avec tant de brio pour développer la solitude de ses propres protagonistes par le passé.
Mais le manque d'alchimie entre Alicia Vikander et l'acteur japonais Naoki Kobayashi ne permet à aucun moment d'établir quelque chose de comparable. Kobayashi est assez guindé, inexpressif, et visiblement moins à l'aise en anglais que Vikander en japonais, mais je ne veux pas lui jeter la pierre : le personnage est dépeint comme craignos dès son entrée en scène, comme souvent les photographes à l'écran, d'ailleurs... mais prenons l'exemple similaire et récent de Matthew Goode (acteur que j'exècre pourtant) en Tony Armstrong, mari de la princesse Margaret dans la série The Crown : en dépit de son égo et de ses manières déplorables, on comprend l'attirance qu'éprouve Margaret pour lui, car il y a indéniablement du charme derrière sa façade. Rien de tel avec Teiji, mais surtout, l'étrangeté de ses rapports avec Lucie doit clairement moins aux différences culturelles qu'à sa personnalité trouble, ce qui fait perdre de son commentaire au film tout en le faisant tomber dans la banalité.
Le résultat est donc aussi plat que décevant, malgré deux excellentes scènes de Vikander, un monologue et le dialogue final avec l'actrice japonais Akiko Iwase, qui consacrent la jeune Suédoise comme une des meilleurs comédiennes de sa génération. Sa frange est par ailleurs adorable dans ce film, et elle porte très bien le kimono. Donc bon, je ne peux pas regretter d'avoir consacré 1h45 de mon temps à L'Oiseau-Tempête, qui n'a hélas pas grand chose d'autre à offrir. Mais qui sait vers quelle nouvelle curiosité l'appendice nasal d'Alicia Vikander me portera-t-il la prochaine fois ?*
(*Réponse : le reboot de Tomb Raider, et ça commence à ressembler à une relation abusive, tout ça^^)