La structure de L’Ombre d’Emily fonctionne sur la mise en tension de deux registres moteurs en recherche de compatibilité. Ce film, dernier né de Paul Feig, est teinté des codes ayant hissé le créateur de Freaks and Geeks au statut d’auteur culte de la transition fin années 90 / début des années 2000. La série, introduisant James Franco au monde, est centrée sur la question de l’identité, du tiraillement que provoque un choix inhérent à l’adolescence. Le personnage de Lindsay, interprété par Linda Cardellini (qui joue, dans L’Ombre d’Emily, la peintre ayant connue Emily plus jeune) est une ancienne geek qui fait le choix de muter socialement. Le temps d’une année, elle devient une freak et, à partir de cette amorce de transition, se réinvente en dehors de tous les carcans imposés.
Cet enchevêtrement d’identités est accompagné d’un alliage des genres. Feig reprend tous les codes du teen drama qui se développe depuis les années 80 pour lui ajouter une forte dose de comédie. La mayonnaise prend car l’humour n’est jamais méchamment dirigé contre les personnages et permet de rendre la narration plus douce. Surtout, il est toujours empathique : malgré les difficultés, Lindsay aura le droit à ses moments de grâce, souvent extension immédiate de la légèreté instaurée par l'auteur. Il impose un nouvel ordre aux codes teen drama, genre sous la domination sans partage de Disney par la suite. Ce genre de productions, plus que jamais d’actualité, prouvent l’importance matricielle de Freaks and Geeks.
L’ambition de L’Ombre d’Emily est très proche structurellement de la production d’Apatow. Le chantier d’un nouveau mélange de registres s’ouvre dès le premier plan du film. Stephanie Smothers, sous les traits d’Anna Kendrick, tourne une vidéo pour son blog. Dans un même mouvement elle annonce la clé d’une intrigue de thriller : sa meilleure amie a disparu depuis quelques jours. L’actrice surjoue admirablement le rôle d’une mère de famille hyperactive et fait immédiatement basculer le tout dans le registre comique à l’aide de son fameux gimmick introductif : « Hi moms ! ». Paul Feig ne se cache pas de vouloir jouer sur ce double diapason. Le genre du thriller, particulièrement volumineux cinématographiquement parlant (car il demande un système complet à son service), se heurte au grotesque, registre comique tout aussi encombrant.
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