Daniel Duval était pour moi l’interprète du personnage de père autoritaire, violent et égoïste dans le superbe film de Sandrine Veysset, « Y aura-t-il de la neige à Noel ? » Je le découvre par hasard et avec plaisir en réalisateur d’ A l’ombre des châteaux . De l’un à l’autre film une communauté de marginalité, de cellule familiale hors norme, d’exclus de la vie. Un même regard sur ceux destinés à vivre « dans l’ombre », avec ici plus de tendresse, de chaleur et d'humour.


Une famille de démunis, immigrés italiens, vit en marge dans une cabane isolée au pied du terril d’une mine désaffectée du nord de la France. Deux parents mutiques, absents à ce qui les entoure, exécutent des petites tâches répétitives, elle, occupée à enfiler des perles pour colifichets, lui à tester des ballons de baudruche. Aussi plein d’énergie et d’activité qu’eux deux sont éteints et impotents, les trois enfants, Fanny petite voleuse enfermée en maison pour jeunes délinquantes et ses deux frères Luigi et Rico, qui vont tout faire pour la délivrer et réaliser ensemble leur rêve chimérique de départ pour le Canada. Ce sont des êtres simples, un peu frustes, rêveurs, tendres marginaux inadaptés à la société, condamnés de naissance par le destin à une vie d’échec. Seule motivation, ce rêve de Canada, espoir d'une autre vie que symbolise le fier représentant de la police montée punaisé au-dessus du lit que les frères partagent tête bêche dans la chambre de leur cabane.


L’ombre des châteaux est un film social sans être une charge contre la société ou une apologie militante à la Ken Loach. Les éléments qui représentent l’ordre social - police, juges du tribunal, contrôleuse de billet de car, religieuses surveillantes – ne sont pas dénoncés ni présentés comme des êtres inhumains, qui seraient délibérément contre les enfants Capello, ou pratiqueraient le « délit de sale gueule ». Ils sont juste les représentants d’un monde dans lequel le trio n’est pas adapté.


Film sombre, L’ombre des châteaux est aussi, (surtout) un film plein de tendresse, de poésie et d’humour, qu’évoquent ces moments de bonheurs simples, de rires partagés et de plaisirs populaires qui parsèment leur hasardeuse escapade : étreinte chaleureuse et complice de la sœur et de ses frères, communion solennelle festive et familiale à laquelle ils se mêlent dans un bar, fête foraine aux manèges grisants et bonheur de gagner deux bouteilles au stand de tir, chevauchée vengeresse digne d’un western contre un groupe de blousons noirs motards gratuitement violents, illusion de traversée atlantique vers le Canada sur une draisienne à la voile poussée par le vent….
L’ombre des châteaux est un film profondément humain dans lequel on sent toute la tendresse et l’affection que le réalisateur a pour ces personnages décalés qui intéressent peu le cinéma français, et son amour des marges et de la liberté. Alors que le film est principalement centré sur les personnages principaux, une petite séquence met exceptionnellement en scène des individus extérieurs au récit et éclaire avec humour cette préférence du monde des marges plutôt que celui du statut bourgeoisement établi : les éclats de la dispute d’un couple aisé -lui désinvolte au piano, elle vitupérant qu’elle veut s’en aller- traversent la baie vitrée d’une maison confortable, pendant que le trio de frères et sœurs s’occupe avec un plaisir partagé à voler leur voiture garée devant la maison. L’argent ne fait pas le bonheur !


Film très personnel, il a les défauts de ses qualités. Filmé à l’énergie brute, il est parfois bancal. Mais les acteurs, la photo et la mise en scène lui confèrent une personnalité attachante. Les trois enfants Capello sont interprétés avec un merveilleux naturel par Philippe Léotard, Albert Dray et Zoé Chauveau ; la photo de Pierre Lhomme contribue efficacement à la couleur poétique du film. Et malgré son univers à priori misérabiliste et une fin tragique, ce film où flotte un vent de liberté et d’audace poétique est finalement réconfortant, à force de tendresse, de chaleur humaine, de sincérité et d’enthousiasme.

kinophil
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le 12 mai 2021

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