En 1928, Keaton prenait une décision sur les conseils de son beau-frère, qu’il regrettera amèrement par la suite et qu’il appela « la plus grande erreur de ma vie » dans son autobiographie. Sacrifiant son indépendance, il rejoint la Metro-Goldwyn-Mayer, un studio en plein essor, une grosse machine dans laquelle il va être englouti et disparaître. Chaplin l’avait bien compris en lui donnant ce conseil :
Ne les laisse pas te bouffer, Buster. Ce n’est pas qu’ils aient de mauvais éléments, ils possèdent tous les meilleurs du pays. Mais il y en a trop, et tous voudront mettre leur grain de sel dans tes films, comme plusieurs chefs dans la même cuisine.
Malheureusement, il ne l’écouta pas. Mais Chaplin avait raison ! En entrant à la MGM Keaton n’était plus libre de ses scénarios, il perdait son équipe de travail habituelle, ses méthodes de travail et se trouvait enfermé dans le carcan du studio.
The Cameraman fut le premier film qu’il réalisa pour la MGM, il découvrit alors concrètement ce que voulait dire travailler au sein de ce studio… Heureusement pour lui un incident lui redonna un peu de marge d’initiative. Parti avec l’équipe tourner les scènes d’extérieur à New York, ils n’arrivaient à rien car la foule reconnaissait Keaton et se précipitait sur lui paralysant ainsi le tournage ! L’ironie de la situation était que Keaton campait dans ce film un parfait inconnu tentant de percer dans le monde du cinéma. Face à cette situation ingérable, Keaton téléphona à la MGM qui se trouvait à 4800 km de New York !
Comme Chaplin et Lloyd, je n’ai jamais travaillé auparavant avec un scénario écrit, et je n’en ai toujours pas besoin ! Tout ce que je vous demande, c’est d’oublier ce foutu découpage et le plan de travail, et de me laisser décider avec Sedgwick de ce que nous allons tourner ici !
Il obtint carte blanche pour la suite, car le compteur tournait... C’est ainsi que Keaton put mettre sa touche personnelle dans ce film qui est l’un de ses derniers bons films. Malgré le succès remporté lors de la sortie de The Cameraman, MGM ne lui accorda pas par la suite de travailler comme il en avait l’habitude auparavant.
The Cameraman respire l’esprit « keatonien » avec ses gags légers (la scène de l’escalier, le trajet en bus assis sur le garde-boue de la roue), la fraîcheur de sa romance : la belle est séduite par ce petit cameraman, frêle au visage triste qui fait pâle figure à côté des mastodontes musclés qui l’entourent. Un ressort comique typique du burlesque mais qui fonctionne particulièrement bien avec Keaton et sa frêle silhouette.
La scène du déshabillage à deux dans une cabine d’1 mètre carré de la plage a eu le plus de succès. Pendant plusieurs minutes, Keaton et son partenaire se livrent à une séance très agitée pour se déshabiller en même temps, se gênant mutuellement.
Les scènes avec le petit singe sont amusantes. Perché sur l’épaule de Keaton, il fait encore plus ressortir le visage impassible de « l’homme au visage de pierre ».
The Cameraman est l’occasion de mettre en valeur divers lieux d’Amérique : Broadway et ses vedettes, Chinatown et ses gangs qui s’entre-tuent, Coney Island, lieu du plus grand nombre d’attractions à l’époque, ici sa piscine.
The Cameraman nous entraîne dans les tentatives infructueuses de cet homme pour percer dans le métier avec une caméra démodée, une Pathé que plus personne n’utilise. Il veut entrer dans le milieu non pas pour réussir et faire carrière, non pas parce que ça l’intéresse, mais juste pour les beaux yeux d’une belle rencontrée dans la rue ! Après de nombreux déboires, la chance finira par lui sourire grâce au petit singe… Et grâce à la magnifique invention qu’est la caméra qui ne sert pas seulement la fiction mais aussi parfois la vérité ! Caméra qu’un simple singe peut faire fonctionner, pas de quoi attraper la grosse tête !
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