Dénuement des marins
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Prenez une caméra.
Prenez une île qui sous le poids de sa parure de granite écrase tous les studios de carton qui fondent sous son eau salée, filtrée par de vieilles mères (ou mer?). Prenez des pêcheurs qui s'improvisent acteurs, qui ne connaissent pas un texte bidon qui est seulement là pour justifier l'intrusion d'un Parisien snobinard sur une terre qu'on croirait au bord du monde. Prenez l'or des mers en fait, secouez-le, et vous aurez tout ce que j'ai cité précédemment.
Il est un film de rupture, dans la filmographie de son auteur et dans le cinéma de son époque. Un réalisateur d'avant-garde, mouvement flamboyant, qui épouse les expérimentations techniques (films très longs, montage), et qui nous a offert les grands René Clairs, Abel Gance ou encore Marcel l'herbier; et bien ce réalisateur d'avant-garde réalise un film aux acteurs qui n'en sont pas, ne bouge quasiment jamais sa caméra, fait en fait un cinéma d’environnement, comme peut le faire Antonioni par exemple. Et cela dépasse en avant-gardisme je crois, tout les procédés superficiels inventé quelques années au part avant (je vais me calmer sur le mot superficiel, car c'est pas le cas, mais vous avez compris l'idée).
Epstein réalise un opéra naturaliste, fait du lyrisme aphasique, et mon dieu mais qu'est-ce que c'est réussi ! Quelle folie ! Il faut noter à quel point ça dénotait à l'époque, pour qu'une voix off le précise avant le générique. Bresson, Dumont, ils viennent tous de ce film-là. Quand la fille, embourbée dans les sables mouvants, rempli le cadre de son visage de saint, et prie avec ses doigts tachés de vase, sans rien dire, sans même oser exprimer sur son visage la peur, car elle ne feint pas, je vous assure que c'est totalement fou.
En plus de ça, la nature qu'Epstein a toujours su admirablement filmer, est ici visible et invisible (invisible trahi par les feuillages et les vêtements étendu aux fenêtres des maisons misérables), muet ou criarde. Elle est l'homme plus que lui, tant par le corps que sur celui des primates magnifiques, innocents comme elle, mais eux si fragiles. Un rocher dans une lande, et un corps dessus, quel tableau...
Il est pour sûr un grand, qui a inspiré d'autres grands, le premier domino d'une longue chaine, et qui au milieu de sa chute change de couleur et enlève l'ivoire de son corps pour ne rester qu'un bout de bois, qui retentit comme un météore sur le sol.
Créée
le 25 oct. 2021
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