Stanley Kubrick est un cinéaste tape à l'oeil. C'est pas négatif. Je conseillerai d'ailleurs à n'importe qui qui souhaite découvrir la cinéphilie de se plonger dans du Kubrick : la mise en scène y est extrêmement visible et en même temps plaisante.
Ici c'est étonnant de voir Kubrick qui semble faire ses gammes et se lance non pas sur un projet qui doit claquer visuellement mais qui se concentre sur comment raconter de manière cool une histoire, rendre toute la complexité d'une situation par la distribution maline des informations au spectateur et entre les personnages via des jeux d'alternances et d'aller retour qui sont mieux que Pulp fiction ou un heist movie moderne.
Pour autant, si le décor et l'histre elle même sembla assez réaliste et codifiée, on voit bien que Kubrick essaie de créer un Monde qui parle de choses abstraites. Effets de lumière bizarres (projections de cadriages, abats jour lumineux...) et déjà il envoit des travellings pour faire exploser ces décors chelous (traversée de l'appartement quand la meuf espionne la bande qui conspire, allers retours entre les guichets et le bar de l'Hippodrome...)
Un Hold-up, Quatre Destins
"L'ultime Razzia" commence par nous présenter les motivations de ses protagonistes, quatre hommes empêtrés dans des problèmes personnels, chacun viscéralement déterminé à échapper à sa propre condition. Kubrick nous offre un tableau complet de leurs vies, une galerie de destins brisés. "The Killing" ne se contente pas de raconter un casse, il plonge au cœur des âmes tourmentées de ses personnages.
Lorsque l'engrenage du hold-up se met en marche, c'est comme si le destin prenait le contrôle des vies de ces hommes. Ils se métamorphosent, adoptant un double visage, une dualité qui deviendra une signature du cinéma de Kubrick. Cette dualité est subtilement tissée dans tout le film, préfigurant les thèmes explorés dans ses œuvres ultérieures comme "Shining" et "Eyes Wide Shut" pour celles ou c'est le plus explicite.
Le moment du massacre est un véritable coup de tonnerre dans le film. Lui aussi amène une dualité dans les personnages et dans le ton du film lui-même, préfigurant d'une certaine manière "Full Metal JAcket" qui, dans sa construction duelle, est finalement une version plus pure et radicale de "The Killing". Kubrick nous offre une explosion de violence brutale, un contraste frappant avec la séquence de catch presque burlesque dans le bar de l'Hippodrome qui précède. Le montage, délibérément déroutant, crée une tension insoutenable, nous plongeant au cœur de la tragédie qui se déroule.
C'est très étonnant mais ce que l'on voit dans les champs -contrechamps de la fusillade ce sont les 2 méchants qui s'affrontent avec le cocu. Puis on passe dans une vue quasi subjective pour se rendre compte que tout les groupe s'est fait descendre. Je n'arrive pas à saisir pourquoi la séquence est faite comme ça, si c'est un accident ou un effet de style, mais ça rend le passage d'autant plus perturbé, donc perturbant.
A quoi bon ?
La préparation du braquage est une préparation de représentation. Le braquage c'est le spectacle. Un spectacle ou les acteurs (tous excellents et j'ai adoré le sniper) sont à la fois libres et contraints : ils peuvent jouer leur partition à leur manière mais il doivent jouer leur partition.
Les personnages, pris au piège de leur destin, se débattent pour exister. Ils passent leur temps à calculer le meilleur déroulé et timing possible pour accéder à ce qui leur permettra de s'échapper à eux-même.
Ils jouent aux échecs, anticipent comment le monde va réagir à leurs actions... Mais au final, le cerveau du casse va se retrouver planté comme un con. Obligé de baisser les bras face à une contrainte purement administrative.
Il baisse les bras et ce renoncement "A quoi bon" menera à la perte de tout le pognon dans le vent.
Dans le travail de Kubrick, transparaît incontestablement son rôle de démiurge cinématographique. Tel un créateur tout-puissant, il façonne des trajectoires complexes pour ses personnages, qui se retrouvent piégés entre leurs désirs personnels et un déterminisme implacable. Cette dualité est au cœur de son œuvre, peut être de sa personne, et se manifeste de manière déjà dans "L'ultime Razzia".
A la fin, l'échec des personnages est total, dépourvu du moindre éclat héroïque. On est pas chez Howard Hawks.
Ce ne sont pas des surhommes, mais de simples individus confrontés à des circonstances qui les dépassent. Le réalisme cru de Kubrick brise les illusions hollywoodiennes que l'on peut trouver dans les films de gangsters et nous plonge dans une réalité brutale où les actes héroïques sont rares, voire absents. Nous assistons plutôt à une lutte acharnée pour la survie, une quête désespérée pour exister dans un monde impitoyable.
La conclusion du film est empreinte de renoncement.
Kubrick, en maître absolu de son univers cinématographique, impose sa vision implacable et cruelle. Ses spectateurs, tout comme ses personnages, sont soumis à sa volonté. Ses personnages peuvent être déterminés, le film le sera toujours plus qu'eux. Le déterminisme, c'est Kubrick.
Pour le voir de façon positive, on peut dire qu'Il ne cherche pas à apaiser nos attentes, mais à nous confronter à la réalité complexe et parfois cruelle de la condition humaine.