Ce qui frappe en premier lieu dans ce film c’est sa vérité, sa justesse quant aux émotions et aux réactions de chacun des personnages. Et pourtant les coups d’éclat menacent souvent de nous faire basculer avec eux dans la folie, l’irréel, en somme la fiction. 
C’est peut-être la raison pour laquelle il vaut mieux parler ici de vraisemblance, de compréhension sensible du pourquoi des événements. C’est l’irrationalité qui nous est montrée sous la lumière du réel, l’irrationalité d’un homme usé. Usé par le temps. Car si le titre original du film s’intitule innocemment « Shoot The Moon » c’est son titre français que l’on retient « L’Usure du temps » 
Un titre qui parle de lui même et pose d’emblée une grande question: quelle place occupe le temps? 
Ici, le temps nous apparait aussi implacable qu’un personnage, c’est souvent contre lui qu’on se bat, parfois de lui qu’on s’arme. 

La dimension théâtrale de ce film repose sur ce que Ionesco appelle des « heurts sans raison de volontés contraires » . En effet les personnages affrontent différents événements de la vie quotidienne, et semblent parfois amenés les uns contre les autres, mais c’est en fait dans le même sens qu’ils tirent, qu’ils se débattent. Ils affrontent la peur, la haine, l’amour et désirent irrémédiablement trouver la paix ensemble, revenir au bonheur initial. Ce sont seulement les moyens qui divergent et les place ainsi en apparence les uns face aux autres. 

Le temps use les relations, et de ce fait, les interroge. 
Les quatre enfants, dès la scène d’ouverture assaillent leur mère de questions, de rires et de cris tous mêlés les uns aux autres et font d’emblée sentir au spectateur un sentiment de saturation. Cette saturation amène le couple à éclater et à chercher dans la nouveauté à fuir l’usure du temps. 

Pourtant, loin de se satisfaire pleinement de ce nouveau départ respectif, la nouvelle relation apparait surtout comme un territoire vierge de tout, dans lequel tout est à reconstruire, tout un capital de vie commune à réinventer. Ainsi la vacuité remplace la saturation et fait prendre conscience du temps passé. 
C’est alors la richesse de ce passé commun que les protagonistes regrettent et c’est l’apparence de la vie nouvelle menée par son ex-femme qui amène le père à disjoncter. 
En passant le seuil de son ancienne maison à coup de poing dans la vitre, il passe le seuil du passé qu'il a cherché à enterrer et prend les séquelles du temps manqué en pleine face.

 Ainsi, le rire apparait comme une solution à l’échec sentimental, à la fatalité du temps, mais une solution qui repousse le problème plutôt qu’elle ne le résous. L’aspect dramatique revient toujours à la charge jusqu’à la derniers minute. 
Dans ce film l’enfant pose sans cesse les questions que les adultes ont renoncé à résoudre : « pourquoi tu couches avec papa hier et avec lui aujourd’hui? », est-ce donc possible d’aimer deux personnes? N’est-on pas obligé de choisir? Pourquoi se sépare-ton si l’on s’aime encore? 

L’innocence, l’inexpérience du temps, propres aux enfants leur donne du même coup une vision lucide des choses. Le questionnement philosophique pur de tout préjugé. 
D’ailleurs c’est seulement la plus grande qui formule ses interrogations, tandis que les autres restent dans l’instant présent.



Ainsi, ce film porte bien son titre, et nous démontre avec brio ce qu’est « l’usure du temps », et quelle folie elle engendre chez l’homme qui cherche à s’en débattre.

Kenzavannoni
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le 20 juin 2015

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