Un drame urbain franchement puissant
La citation de la loi de Murphy ouvrant le film, «Tout ce qui peut mal tourner, fatalement, tournera mal», est prophétique: le dealer Monty Brogan, joué par un Edward Norton impressionnant d'intensité, n'a plus qu'une journée de liberté avant de purger une peine de sept ans pour possession de drogue. Une journée où l'étau se resserre inexorablement sur lui, le forçant à se confronter à ses erreurs passées et aux ressentiments de son entourage, sa petite amie, son père, ses amis autrefois proches.
Là où Spike Lee réussit à livrer un film poignant et âpre, aidé par le scénariste David Bennioff qui adapte son propre roman, c'est dans la retranscription du poids des regrets, des remords, des distances insurpassables que le temps a construit entre les différents protagonistes.
Illustrant de manière viscérale ce thème, trois séquences sont particulièrement impressionnantes:
La première, devenu célèbre, n'est autre que la confrontation de Monty devant son reflet. Ne tenant plus en place, face à son miroir, il se lance dans une grande interjection colérique adressée à New York tout entier. New York, et tout ces éléments qui l'horripile, ses commerçants à l'accent incompréhensible, les requins de Wall Street, le quartier juif, et, plus important, lui-même.
Écumant de rage, il en est finalement venu à comprendre et accepter que le seul à blâmer pour sa chute n'était autre que lui-même.
La deuxième est la confrontation de Monty avec ses meilleurs amis.
Pour ne pas se faire démolir en prison à cause de sa belle gueule, Monty insiste auprès de Frank pour qu'il le frappe, l'amoche ne serait-ce qu'un peu.
Frank refuse d'abord, mais, provoqué, toute sa colère, sa déception et les rancœurs qu'il a emmagasinés ressortent, et il ne peut plus s'arrêter de frapper.
Si Monty s'est physiquement fait démolir, c'est Franck qui apparaît le plus touché, psychologiquement dévasté.
La troisième est la séquence finale (donc SPOILER hein).
Le père de Monty (joué par le touchant Brian Cox) conduit son fils à la prison. Sur la route, il parle des deux choix qui leur sont proposés: Monty purge sa peine comme prévu, ou, alternative, son père l'emmène loin, loin de ses problèmes et de tous.
Clandestin, Monty pourrait alors se construire petit à petit une nouvelle vie, obtenir de nouveaux papiers, trouver un nouveau boulot, retrouver sa petite amie, prendre le temps de vieillir et de fonder une famille.
Entièrement narré par le père en voix-off, éclairé de manière différente du reste du métrage, cette option narrative s'étire tellement qu'elle finirait par nous convaincre de sa réalité.
Or, selon toute vraisemblance, cela n'a pas lieu ("This life came so close to never happening").
On vient de nous faire miroiter le champ des possibles de Monty, toute la richesse d'une vie parallèle qu'on a vu se déployer, trouver accomplissements et maturité, avant de comprendre son caractère illusoire.
Au final, Spike Lee et David Benioff ont, dans un long et incandescent chant funèbre, brillamment rendu palpable toute la densité d'une vie, avec ses douleurs, ses regrets, ses renoncements inhérents.
Cela couplé à un vibrant hommage à la ville de New York, dont on nous montre également les blessures, à savoir la balafre du Ground Zero laissée par un 11 Septembre encore récent à l'époque du tournage.