Peu d'épisode majeur de l’histoire soviétique, autre que la Grande Guerre patriotique contre l’envahisseur nazi (1941-1945), ont marqué aussi durablement et singulièrement des générations de cinéastes. Le réalisateur Stanislav Rostotski au travers de son long-métrage La 359ème section, relativement peu connu hors des frontières ex-soviétiques, fait partie de ceux-là. Ce film, sorti en 1972, est une adaptation du roman Ici les aubes sont plus douces de l’écrivain et scénariste Boris Vasilyev publié en 1969. Considérée unanimement comme son œuvre phare Ici les aubes sont calmes (autre traduction) fût primée au Festival de Venise en 1972 et nommée aux Oscars en 1973.

L'originalité du casting fait beaucoup pour l’intérêt initial porté au film. En effet dans La 359ème section, l’intrigue s’axe sur les mésaventures d’une unité combattante exclusivement féminine, et plus particulièrement sur le destin de cinq d’entre elles. Les bribes qui relatent de leurs passés respectifs ainsi que des raisons de leur engagement en tant que femme, fille, épouse ou mère dans le conflit tendent à tisser un lien plus réel avec le spectateur. L’unique présence masculine de premier plan est assurée par l’adjudant-chef Vaskov, supérieur hiérarchique et responsable de l’avant-poste au sein de ce hameau perdu aménagé au bord d’un lac. Il est chargé de rester aux côtés des combattantes ainsi que de mener à bien la mission périlleuse qui s’impose. Celle-ci, confiée à ce petit détachement de 5+1, prend place au cœur des forêts boisées de Carélie et a pour objectif la suppression d’une patrouille de reconnaissance allemande préalablement vue dans le secteur. Evidemment, tout ne se passe pas comme prévu et s’instaure progressivement un jeu du chat et de la souris, ou cache-cache mortel en pleine nature : Des soldats allemands en supériorité numérique, par une présence quasi-spectrale, aux trousses de Vaskov et de ses jeunes protégées.

Le réalisateur de La 359ème section a opté pour une structure chapitrée qui divise son film en deux parties distinctes d’environ 80 minutes chacune (pour une durée totale de 157 minutes). A savoir : Dans les deuxièmes lignes suivie d’Un combat d’intérêt local. Si la première phase connaît quelques longueurs, de légères maladresses et ne s’avère pas forcément très convaincante à première vue, elle est néanmoins intéressante à plusieurs égards. Par son parti-pris initial qui, paradoxalement, l’éloigne des standards du genre. En effet, Rostotski fait à la fois usage d’une originalité dans l’approche et d’une conventionnalité dans son message (politique). Ce qui est mis à l’honneur c’est l’engagement noble et courageux des femmes-soldats de l’URSS pour défendre l’honneur et l’intégrité de la Mère patrie, le sacrifice ultime pour certaines d’entre elles. Cependant, insister fortement sur cet aspect ne nuit pas fondamentalement à l’œuvre, et l’absurdité de la guerre y est également dénoncée. La dichotomie local-global, soulignée dans le titre de la seconde partie, nous évoque clairement des sacrifices individuels importants pour une obtention de gains militaires quasi-nuls à une échelle plus large. D'autant plus que le cinéaste confère à ses "femmes-héroïnes" une véritable profondeur émotionnelle renforcée par des faiblesses « trop humaines ». L’œuvre prend alors une toute autre dimension, les réactions instinctives face à l’adversité et à la peur prennent le dessus dans une combinaison magistrale alliant intensité et tension paroxysmiques. Une tension qui, absente au départ, s’immisce progressivement au cœur du film pour à terme devenir constante et s’en faire la norme. L’humain apparaît dans son côté bestial, animal fuyant, aux prises avec ses peurs et ses doutes baignant dans une conflictualité des plus violentes. Il n'y a plus de place pour l'héroïsme. Et la traque au cœur d’une nature boisée et hostile (cf. scène du marécage), mise en valeur par de sublimes longs-plans caméra, est en cela remarquable.

Les séquences d’action sont parfaitement maîtrisées, y compris assez tôt dans le film. Dans la première partie, le peloton féminin fait preuve de ses aptitudes militaires au travers des faits et gestes de sa capitaine aux commandes de la DCA qui cible un avion allemand et abat son pilote éjecté du cockpit en parachute. Le montage est excellent, dynamique, alternant entre plans serrés du visage concentrée de la tireuse, douilles qui volent, regards inquiets des compagnons d’armes tout en ne montrant que très peu la cible en question. Par ailleurs, le choix esthétique d’une photographie en noir et blanc est approprié. Les moments de tendresse du film sont accentués par l’usage de la couleur, uniquement consacré aux analepses mêlant à la fois illusions vagues et souvenirs réels sur le passé des combattantes. L’utilisation de la musique vient également renforcer le caractère exclusif de ces séquences d’une légèreté bienvenue et qui ne cassent pas le rythme : Le passé, les amours, le bonheur antérieur des personnages nous marquent proportionnellement à l’ampleur de ce qui a été perdu momentanément, à jamais parfois. En effet, la prise en considération de leur engagement individuel n’est en réalité pas à la hauteur et contraste pleinement avec la force de leurs idéaux de fidélité envers la défense et la protection de la Mère Patrie, et le film ne cesse d'en jouer à coup de « Gloire à l’Union Soviétique ! » et « Vive Staline ! » pour ne recevoir qu'en écho des consignes d’Etat-major faisant état d’« un relatif calme sur le front » et de « perte peu significatives ».

La 359ème section est une œuvre à part, drame historique qui inscrit la petite histoire dans la grande au travers d’un regard sur la guerre et ses conséquences tragiques vécues à un échelon local ignoré du global. Moins pamphlétaire (et bien moins connue) qu’un Requiem pour un massacre d’Elem Klimov mais tout aussi importante, selon moi, dans l’appréhension d’un héritage cinématographique soviétique de la conflictualité et de la barbarie de la Seconde Guerre Mondiale.

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8
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le 9 févr. 2024

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