C'est avec son long-métrage Black Test Car (黒の試走車, Kuro no tesuto kā) que Yasuzō Masumura inaugure au début des années 1960 sa trilogie "noire" : une série de thrillers aux thèmes très similaires, à fort accent industriel, et profondément ancrés dans leur époque.
Sorti en 1962, Black Test Car sera suivi l'année suivante par The Black Report (黒の報告書, Kuro no hōkokusho) et le triptyque cinématographique conclut en 1964 par Black Super Express (黒の超特急, Kuro no chōtokkyū). Tous produits par la Daiei.


Le réalisateur nippon avait déjà su exposer avec virtuosité la face sombre du mercantilisme et les effets d'un capitalisme déshumanisant dans son remarquable et satirique Giants and Toys (1958). Pour autant, Yasuzō Masumura met ici de côté les sucreries caramélisées pour s'attaquer à l'industrie automobile, bien plus ambitieuse. Il réemploie la figure aliénée du salaryman japonais d'après-guerre dont la dévotion, ne pouvant plus s'épanouir sur le plan du nationalisme militaire, gangrène le monde du travail. Au cœur du milieu des grandes corporations, le réalisateur y puise autant de drame et de tension que dans une épopée d'espionnage de la guerre froide.


Deux firmes, la Tiger Motorcar Company et sa concurrente la Yamato Company, ne se livrent pas une compétition libre et non-faussée comme le postulerait en théorie le sacro-saint libéralisme, érigé en modèle économique dans un Japon toujours plus consumériste, mais une véritable guerre acharnée et sans merci où des espions industriels sous couverture ont infiltré les deux camps.
L'objet de cette rivalité ? La course au coupé sport, sans mauvais jeu de mot. En écho à l'essor technologique que connaît le pays du Soleil Levant où la voiture familiale cède peu à peu la place à des modèles plus modernes, rapides et... tape à l'œil.


Dès la séquence d'ouverture dans laquelle on assiste à l'essai raté du prototype Pioneer de chez Tiger, suivi du générique cyniquement encadré par l'épave en feu, Yasuzō Masumura introduit de façon magistrale le récit sombre et chaotique qui va suivre. Et nous tenir en haleine sur 95 minutes.
Onoda (Hideo Katamatsu), l'homme en charge du projet Pioneer, prend conscience qu'une taupe se cache dans leurs rangs et convoque certains de ses meilleurs employés afin de la débusquer. Cependant, leurs premiers plans échouent et la Yamato Company semble toujours avoir un coup d'avance sur eux. D'autant plus qu'un prototype similaire, apparemment volé à Tiger à la suite des fuites internes, est en cours d'élaboration pour être commercialisé.
De ce côté-ci, c'est un vieil homme un peu louche du nom de Mawatari (Kichijiro Ueda), ancien des renseignements de l'armée impériale ayant perdu sa femme et sa fille durant la campagne de Mandchourie nous dit-on, qui dirige les opérations.


Dès lors, tous les coups sont permis dans cette guerre secrète : chantage, corruption, enlèvement, proxénétisme... jusqu'à l'assassinat. A t'on véritablement affaire aux mondes des affaires ou à la mafia ? Loin d'être antagonistes, ce sont les deux faces d'une même pièce.
Mais, semble t'il, la fin justifie toujours les moyens. Il apparaît comme impératif de proposer son produit le premier et à des avantages compétitifs. Tout en ayant un droit de regard sur les activités, même les plus secrètes, du concurrent. Plus l'intrigue progresse et plus Masumura filme les cadres de ces majors comme des gangsters aux méthodes peu reluisantes.


Accentué par des cadrages serrés, toujours au plus proche des protagonistes dans de petites pièces aux murs étroits, et une inventivité dans la composition qu'on lui connaît bien, le réalisateur insuffle une atmosphère qui ferait frémir le dernier des claustrophobes. La musique, discrète, n'est utilisée que pour mettre en valeur certaines scènes et vient davantage compléter les dialogues que les transcender. En somme, l'expérience audio et visuelle, bien qu'en apparence guindée, vient dans son approche minimale donner corps au récit de la meilleure des façons possibles.
Le scénario réserve des coups de théâtres à n'en plus finir, poussant toujours un peu plus ses personnages vers l'abject. Entre enregistrements vidéo interprétés par des lecteurs de lèvres, prostituées sous couverture se faisant passer pour des infirmières ou encore des hommes tapis dans des buissons avec des microphones : Ce n'est définitivement pas une façon digne de faire des affaires.


Seul Asahina (interprété par Jiro Tamiya) semble avoir droit à la rédemption, à la suite d'une confrontation finale au comble de la noirceur.


Auparavant protégé d'Onoda qui se plaît à dire qu'il n'est pas envisageable «de se rattacher à la morale, n'en résultera que des remords», celui-ci ira jusqu'à prostituer sa petite-amie (interprétée par la froide, que dis-je, glaciale Junko Kano) à qui il fait miroiter des fiançailles comme corollaire de sa réussite, et son ambition, à gravir les échelons de l'entreprise.


Black Test Car est une plongée au cœur d'une expérience cinématographique mêlant espionnage, avidité et corruption, profondément implacable et magnétique.
Finalement, tel est le choix qui s'offre à nous : Opter pour le coupé sport ou la conservation de notre humanité ?


BA : https://www.youtube.com/watch?v=w62hMVzxw1M

Borderline-
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le 26 déc. 2021

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