La première chose qui saute aux yeux à revoir "la Baie des Anges" après des années d'oubli, et jusqu'à ce qu'un commentaire enthousiaste de Garrel m'y fasse repenser, c'est combien ce film âpre, linéaire, stressé, tranchant, ne ressemble à l'idée qu'on se fait d'un "Demy-film", avec ses circonvolutions acidulées. Et pourtant, entre les jeux du hasard, directement matérialisés par la petite bille de la roulette, et la passion absolue comme moteur de la déroute, la noirceur et l'étourdissement qui règnent dans tous les grands films de Jacquot de Nantes sont déjà là, absolument. Le déferlement des changements de situation au rythme des aléas du jeu, les ruptures et les collisions incessantes rendent le film peu "aimable", il est vrai, mais on peut toujours se rattraper avec la beauté de Jeanne Moreau, si loin ici des stars glacées que sa blondeur pourrait évoquer, et surtout avec l'intelligence absolue de la mise en scène, toute en gestes justes, en mouvements exaltés, en courtes explosions de joie, de sensualité ou de cruauté. Non, "la Baie des Anges" n'est pas un film qui se regarde avec plaisir, c'est pourtant un film impeccablement exécuté sur une descente foudroyante aux enfers, qu'on peut juste espérer rescapée par une dernière scène lumineuse, indiscutablement vibrante. [Critique écrite en 2013]