Werner Herzog est donc un réalisateur que j'affectionne. Alors cette fois-ci, à la différence de Kuro ou d'Alfred, je ne vais pas attendre de tomber sur un de ses mauvais films (et je sais bien qu'il en a commis, le bougre, malheureusement) pour faire une critique. En plus ça fera saliver Thieu, ce qui est toujours bien, et puis y a déjà Ju qui regrette de n'pas l'avoir fait...
Peut-être me trompé-je mais je ne pense pas qu'il faille voir cette ballade comme allant spécifiquement à l'encontre du rêve américain, contrairement à ce qui en est généralement dit (ça fait beaucoup d'adverbes, non ?) et ce qui ressort des affiches américaines : y en a une avec un méga drapeau des USA (il ne me semble pas avoir vu le moindre petit drapeau dans le film, soit dit en passant) et celle-ci, sympa au passage (et qui devrait plaire à Thieu) : http://4.bp.blogspot.com/_mMTKpMgU3Qw/S7Ey8sh2mNI/AAAAAAAAAjQ/0oKgrhOWYJM/s1600/stroszek.bmp
Ou d'ailleurs comme allant à l'encontre de quoi que ce soit. Je regarde ses autres films et je me dis que, comme d'habitude pour l'instant, Herzog raconte avant tout l'histoire d'un homme qui flirte avec la folie. Lope de Aguirre, Fitzcarraldo, Franz Woyzeck, Cobra Verde, Bruno. C'est d'ailleurs toujours la même histoire, quelque part. Et bien sûr, ce n'est jamais la même.
(Gné ?)
Les causes de la folie ne sont jamais vraiment les mêmes (après faut voir si on n'est pas tous fous à la base, et de la part de ce cher Werner, un tel postulat ne serait pas tellement improbable, mmmh ?), pour schématiser : grosse insolation, trop de Verdi, régime de petits pois. Cobra Verde c'est plus difficile. En même temps c'est le moins fou des cinq (c'est aussi le seul film raté des cinq). Et donc Bruno : alcoolisme, prison, problème médical ? Enfin, on voit bien qu'il a un petit souci.
Les conséquences aussi, mais là je ne voudrais pas spoiler. Et puis à chaque fois, Herzog s'intéresse plus particulièrement à un trait de la folie, et c'est ici que réside la plus grosse différence de "La ballade de Bruno". Ici, pas de mégalomanie, d'idée fixe, de sentiments exacerbés, C'est l'incompréhension qui est au centre du film. Bruno est un personnage marginal, perdu, qui ne comprend pas pourquoi ça ne marche pas, et qui tourne en rond, irrémédiablement (plusieurs images très évocatrices, comme la dépanneuse (une dépanneuse, en plus !), ou la remontée mécanique pour ne citer que les plus marquantes).
Cette incompréhension est accentuée par la barrière de la langue, sur laquelle le scénario insiste clairement, et qui isole encore un peu plus Bruno, qui éprouve les plus grandes difficultés à communiquer. Il y a également la scène géniale de la vente aux enchères du mobile-home avec la litanie du commissaire-priseur.
Ce qui est différent aussi, c'est que c'est un film (par moments) déprimant. C'est gris très foncé et il y a des passages qui pèsent bien. Vous pouvez le regarder si vous êtes déprimés, vous serez peut-être encore plus touchés, mais faites attention quand même, il paraît que c'est le film qu'un type apparemment connu a regardé la veille de son suicide. Mais en même temps c'est drôle (enfin, je trouve), et je n'ai pu m'empêcher de rire devant des scènes pourtant loin d'être comiques.
Il manque un petit quelque chose pour que le tout atteigne cette puissance dont Herzog a le secret. Kinski peut-être, bien que je trouve ce non professionnel de Bruno S. très convaincant, personnellement, dans ce film écrit pour lui, de surcroit. En revanche, je suis légèrement moins chaud que d'aucuns quant à Eva Mattes, mais bon, et puis si besoin était, y a Clemens Scheitz pour contrebalancer, délicieux en petit vieux plus tout à fait seul dans sa tête, lui non plus. Aucune erreur de casting parmi les personnages secondaires, majoritairement joués par des amateurs, mention spéciale aux dégénérés du Wisconsin, chaud.
Pour tout vous dire j'ai fortement hésité entre 7 et 8 mais, et c'est là un phénomène assez curieux, il se trouve que pour l'instant, à chaque fois que j'ai vu un film d'Herzog, j'ai hésité entre deux notes (que ce soit 8-9, 7-8 ou 3-4) et j'ai toujours choisi d'être généreux... Faut dire aussi que le monsieur, outre le fait qu'il filme magnifiquement, a un don pour soigner ses fins. C'est fort, ça, et puis c'est ça qui reste. Celle-ci ne déroge pas à la règle, avec ces petits poulets (ouais, ouais, vous verrez) et cette dernière phrase, que je ne dévoilerai pas, mais qui est très, très bonne.