Genre moribond voire ignoré par les plus jeunes générations, le Western n'en finit pas d'agoniser, de renaitre, entre mépris, hommages, fascination et répulsion parfois pour ses thématiques douteuses.
Cette année 2018 est dans le droit fil de cette mouvance hésitante, mais a pourtant donné naissance à deux joyaux du genre: l'incroyable "Hostile" en début d'année, qui loin des références se veut un film historique abordant de front la lutte sanglante pour la conquête de l'ouest; et donc ce Buster Scruggs, si atypique ou plutôt si typique du cinéma décalé des Coen Brothers .
Loin des ambitions historiques d'"Hostile", "La ballade de Buster Scruggs" se veut un film hommage au genre. L'on pourrait donc attendre une œuvre respectueuse, très référencée et la redouter très (trop) sage, voire quelque peu ennuyeuse à la manière des deux concentrés que nous servit un certain Quentin quelques années en arrière.
Dans les faits, il n'en est rien. En premier lieu , parce que le format du film découpé en six parties indépendantes (mon grand-père appelait cela un film à Sketchs) éloigne l'idée de lassitude. Ensuite, parce que Buster Scruggs est un condensé réjouissant de l'univers baroque et imaginatif des deux frangins.
Alors en route pour les compliments mesdames et messieurs !
Chacun des six segments revisite à sa façon l'une des grandes thématiques jalonnant l'histoire du western : le cow-boy chantant, joueur invétéré, les hors la loi pilleurs de banques, la quête de l'or, les "troubadours itinérants", les convois traversant le pays à la merci des indiens, les chasseurs de prime. Evidemment, les six "parties" ne sont pas de qualité homogène, mais chacun de ces courts ou moyens métrages a sa propre tonalité, une inventivité notable.
Et puis, nos deux cinéastes n'en sont pas à leur coup d'essai, ayant déjà deux Western à leur actif (True Grit et No country for the old man -déclinaison moderne du genre-), et c'est en vieux routiers aguerris qu'ils alternent de magnifiques scènes de référence au genre (duels, attaque de convoi...) et desscènes plus cocasses ou audacieuses.
les scènes burlesques sont assez nombreuses, mais on peut noter celle dans laquelle, James Franco qui sur le point d'être pendu demande à un infortuné compagnon sur le point de subir le même sort : "First time?".
Plus inhabituelle et dérangeante, la morale du troisième acte "ticket repas" avec Liam Neeson dans laquelle, un homme tronc est sacrifié sur l'autel du dieu dollar au profit de la "poule aux œufs d'or"
Comme à l'habitude chez les Coen, les personnages sont développés, attachants tout en demeurant maladroits, un peu idiots parfois, souvent à la lisière du ridicule. La réalisation est somptueuse, portée par des décors naturels grandioses dont la caméra capte à chaque instant la luminosité éblouissante ; le tout filmé à hauteur d'homme, fréquemment -western oblige- en plans américains.
Certes le format nuit parfois à la cohérence, mais cette ballade loin d'être toujours joyeuse est une belle proposition de cinéma, qui, cependant pose une question lancinante et douloureuse : l'industrie du cinéma peut-elle encore nous offrir ce genre de création, tant elle est enfermée dans sa logique d'uniformisation avec pour seule visée la rentabilité ? Ou bien au contraire, devra -t- on se contenter à l'avenir de se régaler de ces pépites devant son écran de télé , car seule une plate-forme de streaming ose accorder une pleine liberté artistique à ses cinéastes ?