La Ballade du petit soldat s'intéresse à un groupe d'Indiens Miskito, en lutte contre les troupes sandinistes au Nicaragua, et plus précisément à l'utilisation d'enfants-soldats pour mener cette guerre. Herzog est emmené là-bas par un de ses amis, Denis Reichle, qui fut lui-même dans la situation de ces enfants-là au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sein du Volkssturm, une milice populaire allemande levée en 1944. Le documentaire est étonnamment simple et limpide de la part de Herzog, un peu comme l'était la fiction Le Pays où rêvent les fourmis vertes avec son message écologiste très explicite, et à ce titre surprenant dans une filmographie jalonnée par des lubies bien plus obscures. Mais cela n'enlève rien à la force du regard, et diversifie à mes yeux l'éventail des aspirations du réalisateur.
Herzog s'attarde longuement sur l'entraînement militaire de ces enfants, par l'intermédiaire d'un instructeur recruté spécialement pour les former au maniements d'armes diverses, du fusil mitrailleur au mortier. Les exercices sont réalisés à balles réelles, naturellement. La rhétorique de l'instructeur pourrait se résumer, en substance, au fait que "c’est le meilleur âge car ils ne sont pas encore corrompus, on peut les entraîner à combattre les communistes". Un crédo qui semble impulsé par la CIA comme elle a pu le faire du côté des contras, et qui parvient à faire rentrer dans la tête de ces enfants l'idée d'appartenance à un pays et la défense d'un territoire présentée comme nécessaire et inéluctable, en exploitant la violence de leur courte existence (ils ont tous vu des proches mourir).
Mais ce contexte géopolitique n'est pas ce qui intéresse le plus Herzog, au final, avec le recul : son idée fixe est vraiment de se concentrer sur ce paradoxe vivant, cette association arme-enfant. Une âme a priori innocente transformée en machine à tuer, parfois "plus courageuse que des adultes" quand il s'agit de partir en mission suicide. Les instructeurs savent parfaitement canaliser la colère et la peur de ces enfants, ils savent attiser la flamme de la vengeance qui brûle intensément chez ceux qui ont vu leurs parents assassinés. On sent poindre un vrai traumatisme chez Herzog, qui parvient à capter des regards d'enfants déchirants. C'est le cas de la scène introductive et de la scène finale : un enfant qui chante, en uniforme de combat, une énorme mitraillette dans les mains. Le visage est dur mais la voie est encore enfantine. Et au détour d'une prise de vue, un sourire éclate, magnifique, l'émail d'un blanc éclatant contre le métal noir de l'arme, brisant un instant l'image des guerriers qu'ils sont devenus.
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