Rêche mais beau !
Aux deux extrémités du spectre des films qu'on a aimés, se trouvent deux types de cinéma : celui qui vous fait passer un bon moment mais dont il ne vous reste plus rien le lendemain. Et celui qui...
Par
le 20 déc. 2018
1 j'aime
La plupart des films partent du postulat que la Réalité, c'est le réel, et qu'en tant que telle elle est non seulement fiable, mais racontable. Cependant, dans les marges, certains, discrètement, tentent d'interroger ce concept qu'ils sentent plus fuyant que beaucoup aiment à le claironner. Et à ce petit jeu, plume ou caméra à la main, les Polonais sont toujours les premiers à se jeter dans l'arène, pour en découdre avec les faux-semblants, les fantasmes, et les situations limites où soudain le rêve semble contaminer le quotidien le plus banal.
La Barrière de Skolimovsky, sur ce terrain, va loin. Conduit par une logique aussi opaque qu'implacable, celle-là même des cauchemars, le film suit les pérégrinations d'un héros vindicatif sans essayer le moins du monde d'expliquer à ses spectateurs ce qu'il se passe, ni pourquoi. Le jeune homme a quitté l'université, il fait croire à tout le monde qu'il va se marier, il rencontre une jeune conductrice de tram à qui il demande de jouer le rôle de la fausse future mariée. Et c'est tout.
Dégagé de tout le fatras habituel (une intrigue, une progression narrative, des événements qui font sens et s'enchainent selon l'aimable concaténation cause/effet), le réalisateur peut se concentrer sur l'image, la sensation, l'instinct, afin d'observer son sujet sans le salir ni le simplifier. Son sujet ? on vous l'a dit : la Réalité, qui donc ici n'a du réel que l'apparence. Une réalité mouvante, inquiétante, fuyante, désordonnée, brutale, impersonnelle, inhospitalière.
La gageure de ce genre d'expériences est de taille : celui qui se lance sur de telles cordes raides est à chaque instant menacé de sombrer dans des abîmes d'ennui ou d'hermétisme. Ici, Skolimowski tire particulièrement bien son épingle du jeu, grâce à un sens époustouflant du cadre et de l'ambiance (très beau travail sonore), et à un équilibre très finement dosé entre symboles, indices et faits bruts. Toujours un peu en retrait, comme amusé ou effrayé par toutes ces explosions de non-sens pourtant si significatives, il ne cherche jamais à écraser le spectateur sous des tombereaux de références à décrypter, mais juste à lui tendre la main pour qu'il l'accompagne dans ces contrées si rarement filmées. Et pour cause ! Ce n'est pas un hasard si la plupart de nos rêves s'évanouissent au réveil, petits espaces de liberté immédiatement refoulés par une conscience inquiète qui doit assurer le service de jour qui s'annonce.
Créée
le 7 déc. 2011
Critique lue 707 fois
30 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur La Barrière
Aux deux extrémités du spectre des films qu'on a aimés, se trouvent deux types de cinéma : celui qui vous fait passer un bon moment mais dont il ne vous reste plus rien le lendemain. Et celui qui...
Par
le 20 déc. 2018
1 j'aime
A la fin de ses études de médecine, un jeune homme quitte ses amis. Sur sa route, il croise notamment une conductrice de tramway. Le troisième long-métrage de Jerzy Skolimowski est le premier dont il...
le 20 mai 2020
2
Du même critique
Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...
Par
le 24 janv. 2011
287 j'aime
24
Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...
Par
le 27 févr. 2014
270 j'aime
36
Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...
Par
le 9 mars 2013
244 j'aime
74