La Bataille de Midway amène un terrible baroud d'honneur : celui d'un genre cinématographique en voie d'extinction, la Seconde Guerre Mondiale laissant sa place à la Guerre du Vietnam, et d'une troupe d'anciennes légendes du cinéma hollywoodien relayées au stade de seconds rôles et de figurants. Charlton Heston et Henry Fonda, les deux plus en avant du côté des ricains, donnent la réplique aux courtes apparitions de Robert Mitchum, James Coburn, Glenn Ford, Robert Wagner j'en passe, et des meilleurs.
Tous réunis dans un projet qui sent bon le casting d'il y a environ quinze ans (le dernier à réussir l'entreprise de réunir autant de visages connus dans un grand film sera Un Pont trop loin, sorti l'année d'après), on ne pouvait qu'être impatient de retrouver toutes ces stars à la fin de leur carrière : fatigués, peu investis, on ne retiendra de ces grands noms que le dynamisme d'Heston et le charisme envahissant du monstre Toshirõ Mifune.
Il n'y aura vraisemblablement que ce duo pour camper des personnages avec un minimum de profondeur et d'enjeux, les deux incarnant la rivalité de camps adverses se respectant relativement. A la présence également magnétique de l'américain de La Planète des Singes, les réalisateur Jack Smight et scénariste Donald S. Sanford ajoutèrent une histoire d'amour concernant le fils du personnage d'Heston (le Capitaine Matt Garth) avec une japonaise.
Si la nature de leur relation sert principalement de propagande en faveur de l'Amérique (le japonais, raciste, ne veut pas que sa fille sorte avec un américain, ce dernier ne méprisant aucunement la population qu'il combat; si seulement cela avait été vrai), ce qu'on considérait injustement au départ comme du remplissage peu pertinent prend, la dernière demi-heure survenue, une toute autre mesure sauvant l'oeuvre d'un vide d'enjeux de ses personnages.
Jusqu'ici, on ne savait pas trop à qui se rattacher : les personnages n'étant pas attachants pour leur histoire de vie, seulement parce qu'ils sont campés par des acteurs très célèbres, le long-métrage ne connaissait aucun enjeu à échelle humaine, pas d'élément auquel le spectateur pouvait se rattacher pour s'identifier aux hommes en plein combat, pour entrer en empathie avec eux quand il les voit combattre, mourir, brûler.
Cette intrigue amoureuse entraîne justement l'oeuvre dans une profondeur de sentiments inattendue : tout aussi simpliste qu'elle puisse être, elle solidifie la relation père/fils entre Heston et Edward Albert (très juste en aviateur sentimental), ce dernier dénichant une profondeur à son personnage surprenante; comment se douter, après la première heure brouillonne et peu trépidante, qu'on s'inquiètera à ce point du destin de plusieurs soldats?
C'est qu'il manquait d'intérêt, jusqu'ici; perdu dans une première partie tout en dialogue, en plans, en organisation (partagée entre deux camps, les états-majors américain et japonais), sans nous avoir au préalable présenté la situation, ses intervenants, ce qui s'y joue à échelle humaine, il crée de fait une distance avec le spectateur par la trop grande place laissée à la technique purement militaire qui le sortent de l'intrigue, avant de le rattraper en plein vol par le biais de ses saisissants combats aériens.
Par l'association d'archives et de plans renversants de réalisme, La Bataille de Midway fait comprendre l'utilité de la lenteur et de la complexité de sa première heure en présentant un spectacle grandiose, spectaculaire, bien plus réaliste et trépidant que sa version modernisée et pleine de CGI douteux, Midway, plus proche du jeu-vidéo que de la guerre, pleine d'horreurs, de coups de chance, de malchance et de destins brisés.
Jusqu'à cette fin terrible, où l'on se rend compte avec stupeur qu'on ne suivait pas un film héroïque, mais bien une tragédie sans happy end possible. C'est aussi et surtout cela, la guerre : le malheur, le désespoir, et la certitude qu'il ne suffit pas d'être un homme bon pour en revenir. Les hommes de Midway en auront fait les frais.