Je suis impressionné par tout ce que peut contenir ce film d'à la fois horrible, et en même temps hilarant. Justine Triet offre un long métrage d'une authenticité folle qui n'hésite pas à se moquer de ces personnages tout en y évoquant un réalisme glaçant. C'est franchement assez brillant.
La première originalité flagrante se trouve évidemment dans le choix de faire une scène entière durant le résultat des vraies élections de 2012. Cela offre un coté documentaire et une immersion dans le réel par les comédiens qui doivent jouer malgré tout le boucan aux alentours. C'est assez dingue d'être parvenu à filmer durant cet évènement et à monter ça de manière efficace. Car les élections ne sont pas qu'un prétexte pour illustrer le métier de Laetitia, mais aussi pour choper des moments d'interviews de socialistes et de républicains très bas de plafond et profondément débiles. Ce sont des écarts dans le récit que Justine Triet choisit de placer pour montrer l'absurdité de certains votants, tout en montrant une certaine incompréhension et un manque de communication des deux camps. Un chouette miroir qui reflète le manque de communication dont fait preuve au début le personnage de Vincent Macaigne (absolument incroyable dans ce rôle) avant de se rendre compte qu'il n'est pas le seul fautif dans l'histoire. Et c'est intéressant de voir que tout le film tourne autour de la communication. Même durant l'échange lunaire entre le flic et Vincent, où personne n'est capable d'écouter l'autre. Tous les échanges dans ce film n'ont absolument aucun sens et sont insupportables tant personne prend le temps d'entendre ce que l'autre a à dire. C'est à la fois terrible et vraiment drôle par moments. Bref cet instant documentaire est absolument impressionnant.
Mais tout ce qui s'articule autour du couple l'est tout autant, car il s'inscrit dans un réalisme assourdissant. Déjà physiquement, avec les bébés qui n'arrêtent pas de pleurer, le baby sitter mou du genou et un peu bête, mais aussi dans le profil typique de l'ex mari violent. Seulement, alors que toute la première partie du film s'articule sur la force de Laetitia face aux imprévus, et à la violence imprévisible de Vincent, la deuxième partie va montrer qu'il n'est pas le seul fautif dans l'histoire. Ou va du moins l'humaniser et l'apaiser. Ce qui donne lieu à une séquence de nuit dans l'appartement de Laetitia complètement délirante. Tout le monde est bête, profondément bête dans ces réflexion. Pas un pour rattraper l'autre. Et c'est là où le film est vraiment imprévisible. Car plutôt que de rentrer dans un discours classique sur les violences conjugales, Justine Triet développe ce thème en y montrant une femme qui n'est pas forcément très maline non plus. Elle ne dresse personne en héros ou en victime. Certes, l'union masculine est montrée comme une représentation viriliste datée et complètement décalée, mais il n'en reste pas moins que le personnage de Laetitia est loin d'être un archétype : elle subit, mais c'est pas si dramatique pour elle. Mais du coup le décalage entre elle et les hommes est d'autant plus marquant, car ils ne semblent jamais saisir qu'il y a un problème grave qui est en train de se dérouler. Mais ça passe du coq à l'âne en permanence. On passe d'une violente dispute avec un avocat complètement nul, à un verre de vin, une musique, et des aveux débiles.
La Bataille de Solférino offre à la fois un réalisme cru dans ces relations, et en même temps un extrémisme dans le manque de communication à tous les niveaux : que ça soit intime, social, ou même culturel (Vincent ne se fait jamais comprendre par les étrangers.) Le film est donc assez glaçant, car les engueulades débiles ne s'arrêtent jamais, tout est très tendu, mais pourtant certaines répliques, certaines réactions ou regards, sont hilarants tant cela paraît hors sol. Mais c'est aussi le non sens de certains moments de vie. Justine Triet ne prétend pas faire un film social ou qui dénonce, mais qui montre plus subtilement dans l'absurde et le gras, que c'est l'absence d'écoute et le fait de s'entendre parler, qui brouille absolument toute les pistes, y compris pour le spectateur qui finit par ne plus savoir pour qui prendre position. Cela donne un message féministe bien plus ambigu et singulier, où l'on se rend compte que la masculinité est parfois un rempart à l'écoute autant pour les femmes, que même entre les hommes.